Cahier critique 03/09/2018

“Villa corpus” de Sébastien Bailly

“Féminin plurielles”, un programme de courts réalisés par Sébastien Bailly sort en salles. Ce court métrage de 2005 donne un aperçu différent de son savoir-faire.

L’étrangeté de ce court métrage de Sébastien Bailly méritait qu’on y revienne, treize ans après sa réalisation, au moment où trois de ses films – plus exposés, plus récents et mieux connus – se voient réunis pour une sortie en salles sous l’intitulé Féminin plurielles.

À la cohérence de ce long métrage composite, on pourra opposer ce film sur le fil, risqué et ambitieux, dont le principal mérite était, en 2005, de s’aventurer hors des chemins balisés du court métrage de fiction français. Si le lien avec les œuvres qui suivirent n’est pas évident (et sans doute est-ce la raison principale – outre l’absence de personnage principal féminin – pour laquelle il ne figure pas dans Féminin plurielles), on mesure, en le revoyant, comme ce premier opus demeura sans suite : à la fois dans la filmographie de Sébastien Bailly mais aussi dans une production hexagonale où son austère bizarrerie pouvait alors faire figure d’étrange anomalie.

Jugeons-en. Le héros de Villa corpus (auquel le revenant Pierre-Loup Rajot prêtait alors une neutralité intrigante) vit à la marge, dans une villa au creux de la campagne, comme volontairement reclus d’un monde professionnel et d’un passé gardés résolument opaques. Tout au plus apprend-on, au fil de courtes séquences elliptiques, qu’il est architecte, en couple, bientôt père et, surtout, qu’un de ses collaborateurs se suicida quelques mois plus tôt sur un chantier. C’est précisément dénouer les circonstances de ce drame qui amène chez lui une journaliste interprétée par Mélanie Leray, actrice que l’on aima tant dans Les filles du 12 de Pascale Breton ou dans certains courts de Frédéric Pelle.

Car, justement, tout fait mystère dans ce film où, dès la scène d’ouverture, le personnage masculin s’empare inexplicablement, dans la forêt, d’un chevreuil abattu par d’autres, où l’inquiétude lézarde son indolence tandis qu’il passe sa main sur le ventre gonflé de sa femme endormie, où il roule et déroule ce tapis sous lequel on ne sait encore ce qu’il dissimule…

Frayant – timidement, il faut le dire – dans sa dernière partie, avec les obsessions organiques d’un Cronenberg (celui de Crash), avec les motifs de la fusion homme/métal, voire du savant fou, Sébastien Bailly s’aventurait là courageusement en terrain fantastique quand le genre était encore loin d’être, comme il le devient doucement aujourd’hui, le terrain de jeu revendiqué (ou fantasmé) de certains jeunes cinéastes d’ici…

Stéphane Kahn

Réalisation et scénario : Sébastien Bailly. Image : Stephen Barcelo. Montage : Marie-Julie Maille. Son : Jean Philippe. Interprétation : Mélanie Leray, Pierre-Loup Rajot et Nicole Max. Production : Ostinato Production.