Cahier critique 24/04/2019

“Venerman” de Tatiana Vialle et Swann Arlaud

Swann Arlaud passe à la réalisation, en binôme avec sa mère, Tatiana Vialle.

C’est pas trop triste de renoncer à ses rêves ?”. Le jeune Charles, dix-huit ans, a fini par poser la question à son frère aîné, Antoine, tant il semble s’être assagi. L’interrogation est au centre de Venerman, film court réalisé par Swann Arlaud et Tatiana Vialle. Est-ce qu’à un moment, on lâche quelque chose des ambitions intimes de son enfance ? Est-ce qu’on abandonne toute possibilité de se distinguer de ses congénères ? Est-ce qu’on devient un mouton consumériste qui ne pense plus à rien ? “Carlito”lui, n’en a pas envie. La puissance de son imaginaire est telle qu’il s’imagine noir et rappeur. Il y croit mordicus, tellement qu’il le devient à l’image, son sweat rouge lui servant de parure de super héros. Il fera danser les mots comme les lecteurs de la BPI du Centre Pompidou, et surtout, il fera tout pour ne pas être le “petit Blanc sans histoires”, le mec désenchanté que son frère est devenu. Il fera tout pour garder en lui sa révolte d’adolescent que la génération précédente a peut-être perdue, tout en la réapprenant peut-être aujourd’hui. 
Venerman est une histoire de famille. Swann Arlaud a réalisé ce film sec et doux, à la mise en scène très frontale et composée, avec sa mère Tatiana Vialle, directrice de casting. Tobias Nuytten, demi-frère du premier et fils de la deuxième, tient le rôle-titre d’un film développé à partir de sa personnalité et de ses mots, notamment ceux qu’il rappe, mis en musique par Barnabé Nuytten, l’autre demi-frère. 
Il nous enseigne une fois de plus qu’on ne badine pas avec la transmission chez les Nuytten. Celle qui passe notamment par la parole, l’héritage culturel transmis par Bruno, le père, ex-directeur de la photographie et réalisateur, et le désir de travailler avec ses proches. Et qui dit transmission, dit échos secrets, domaine de l’inconscient. Et Venerman est une sorte de bulle contemporaine dérivée du second long métrage de Bruno Nuytten, Albert souffre, réalisé vingt-sept ans plus tôt. Dans ce film personnel du cinéaste, réalisé juste après Camille Claudelle jeune héros incarné par Julien Rassam, ne semblait avoir aucune limite dans sa liberté de vivre, dans sa décontraction au quotidien. Mieux encore, son meilleur ami, Charles, jeune noir veilleur de nuit dans un hôtel (joué par Collin Obomalayat, revu en 2017 dans Et toujours nous marcherons, de Jonathan Millet) se vivait aussi comme un Basquiat qui aurait survécu, quatre ans après la mort du peintre américain. La filiation entre les deux films s’impose lorsque l’on voit le “Black Charles” de Venerman recouvrir les affiches de campagne présidentielle de Marine Le Pen par les siennes. Si l’on met de côté cette correspondance troublante entre le long et le court métrage, Venerman est indéniablement marqué par une culture urbaine et underground totalement revendiquée par Swann Arlaud, acteur intense et désormais cinéaste à part entière.

Bernard Payen

Réalisation et scénario : Tatiana Vialle et Swann Arlaud. Image : Sarah Boutin. Montage : Isabelle Manquillet, Clémence Diard et Souliman Schelfout. Son : Rodrigo Diaz. Musique originale : Barnabé Nuytten. Interprétation : Tobias Nuytten, Moussa Fomba, Margot Lima Frances, Émilie Incerti Formentini et Swann Arlaud. Production : Année zéro.

Rencontre avec Swann Arlaud et Tatiana Vialle, co-réalisateur de Venerman – Festival Offcourt Trouville 2018