Cahier critique 15/04/2018

“Tête d’Oliv...” d’Armelle Mercat

Un homme sur quatre serait atteint de calvitie ; ce film d’animation tout récent a peut-être trouvé un remède...

Nimbés d’un son clair et précis, crayon et aquarelle s’allient : deux mains, émergeant des bords latéraux du cadre, brossent et disciplinent en gros plan une fine cascade de cheveux souples – ici, le crayon délimite, circonscrit, révèle ; là, quelques touches d’aquarelle, aux nuances d’un turquoise minéral, ajoutent un relief simple et intuitif. Le son, enfin, confère corps et présence immédiate au monde qui, sur fond blanc, éclot soudain.

C’est peut-être d’abord cela, Tête d’Oliv… d’Armelle Mercat : l’alliance juste d’une technique mixte qui, calque après calque, conserve une apparence élémentaire, un petit trésor d’éloquence vibrant par son animation. Ainsi Olivier, scientifique créatif qui tremble de voir sa calvitie découverte par sa femme – et de n’être alors plus désiré par elle –, navigue dans un monde où cernes noirs et couleurs se complètent et cohabitent ; existe-t-il moyen plus ingénieux pour rendre sensible son angoisse que cette confusion des nuages d’aquarelle lorsque, entre aplats et volumes, les cernes (figurant ses cheveux) viennent à manquer  ? Le dessus du crâne glabre d’Olivier, dans l’inquiétude du regard, disparaît alors, se fond avec ce qui l’entoure, n’existe plus ; ce n’est pas seulement l’absence de cheveux, c’est le néant qui s’exhibe. Or transformer une idée ou une sensation abstraite, subjective, presque incommunicable en incarnation concrète – souvent ludique et toujours graphique – est l’une des forces créatives de l’animation ; sans répit, elle invente, accentue, isole, distingue. Chez Armelle Mercat, c’est ainsi que l’histoire nous attrape : la calvitie d’Olivier mène à la disparition partielle de son visage de l’écran, menaçant de n’être alors plus qu’une tâche informe, puisque sans limite. Impossible dès lors de rester de glace devant l’enjeu posé : l’angoisse incarnée ne peut être ignorée.

Ainsi, quand bien même c’est d’abord le stratagème de dissimulation, aussi élaboré et consciencieux que truculent, qui ouvre le court métrage, remédiant, sitôt présentée, à l’angoisse d’Olivier, ses espoirs et ses craintes s’imposent désormais intuitivement à notre œil complice. Et si, en quelques coups de crayons, son visage fluctue entre béatitude et terreur absolue, la compassion à ses tourments se mêle au rire. Le charme de Tête d’Oliv… réside alors dans cet équilibre délicat entre tendresse et vivacité, cœur rythmique du film ; à l’angoisse fixe, obsessionnelle, du personnage, l’acuité des expressions croquées, comme saisies sur le vif, oppose une sensibilité chatoyante et la surprise de l’aplomb. Ainsi rebondissant entre causes et effets, inventant et se dérobant tour à tour face à la réalité, Olivier se déforme, se transforme, se dissémine même – en un nuage de cheveux – au gré de l’animation malicieuse. Devant une telle plasticité, les voix, seules, peuvent assurer matière et continuité à l’identité ; celles d’Olivier et Christine, irrésistibles dans la candeur de leurs sonorités, brillent ainsi de leurs aspérités, de leurs discrètes altérations de timbre qui, accompagnant les fluctuations du récit, nourrissent l’impression physique des corps et des espaces qui nous sont présentés.

Concevoir la rivalité d’un homme et d’un chat ne semble alors plus si farfelu dans ce monde que façonne Armelle Mercat… Surtout si le chat porte un nom d’homme lorsque l’homme se fait appeler “minou” et que, chat roux et homme olivâtre, ils se situent à l’opposé du spectre des couleurs. C’est finalement cela, Tête d’Oliv… : le plaisir simple et ludique des justes correspondances binaires.

Claire Hamon

Réalisation, scénario et image : Armelle Mercat. Montage : Catherine Aladenise. Musique : Jean Poinsignon. Animation : Armelle Mercat et Charlie Belin. Son : Lucia Palenzuela et Hervé Guyader. Interprétation : Olivier Deweer et Nathalie Chartier. Production : Girelle Productions / Novanima Productions.