Cahier critique 07/09/2018

“Tennis Elbow” de Vital Philippot

Une comédie familiale caustique sur fond de rivalité père/fils. Bonus : entretien avec Pablo Pico, le compositeur de la musique originale du film.

On sait combien l’espace et la topographie sont essentiels en matière de comédie. Dans Tennis Elbow, l’histoire se divise en trois actes (avant, pendant, après), mais s’organise surtout autour de deux lieux : une maison de campagne et un court de tennis.

Philippe (Rebbot, dont on sait depuis plusieurs films le potentiel burlesque) et Catherine (Vinatier, visage familier un peu perdu de vue que l’on aime retrouver ici) passent une semaine de mars à la campagne avec leurs deux fils, le plus grand Yannick et le plus jeune Henri. Cet après-midi-là, Philippe, amateur éclairé de tennis (voir les prénoms de ses enfants) est bien décidé à défier son aîné qui le bat, depuis plusieurs années déjà, raquette à la main.

Pour que la comédie se pimente de drame, il y a donc cette route qui ne semble mener nulle part sinon sur ce terrain où va se rejouer l’éternelle tragédie d’un père dont la virilité est menacée, voire supplantée, par celle de son fils adolescent. Le court de tennis est ici envisagé tel un no man’s land, un lieu neutre, à l’écart, où vont s’exprimer les rivalités familiales, où va surtout apparaître manifeste combien le fils le plus jeune – cantonné à arbitrer, relégué au hors-champ – n’est pas regardé par son père (alors que c’est bien avec un plan sur lui jouant dans le vide, sans partenaire, que s’ouvrait le film).

Tandis que le jour se perd et que les spots illuminent le terrain, le film verse avec Philippe dans son obsession irrationnelle.

La photographie accentue alors le caractère artificiel des lumières diffusées par les projecteurs en multipliant les effets de flare. Le lieu déserté (on est hors saison) devient un espace abstrait où, tout à son désir de vaincre, Philippe oublie sa place de père et se mue en pantin reproduisant jusqu’au grotesque les tics des tennismen télévisuels. Il perd le sens des réalités, la mise en scène traduisant par les gros plans et les ralentis le point de vue totalement déréglé et fantasmatique du personnage. Dès lors, aussi, une étrange bascule se fait et le lieu se peuple de spectateurs improbables encourageant le champion dérisoire.

Pourtant, Philippe sera vaincu. Il quittera le terrain sans un mot, “oubliant” femme et enfants, rentrant en voiture, seul, au bout de la route, dans cette maison où il laisse un mot pour dire, outrancièrement dramatique, qu’il abandonne le tennis. L’épilogue, où la raison reprendra ses droits par la bouche de Catherine, le sortira de ce rôle sacrificiel, lui permettra de considérer enfin le petit Henri, apportant à l’inquiète comédie cette part mélancolique sans laquelle elle ne saurait être totalement réussie.

Stéphane Kahn

Article paru dans Bref n° 106, 2013.

Lire aussi la critique de Denis et les zombies, le dernier court métrage de Vital Philippot.

Réalisation : Vital Philippot. Scénario : Vital et Just Philippot. Image : Benoît Feller. Montage : Julie Delord. Son : Renaud Duguet, Alexis Jung et Matthieu Langlet. Musique : Pablo Pico. Décors : Aurélien Maillé. Interprétation : Philippe Rebbot,  Catherine Vinatier, Martin de Myttenaere et Marc Chaulet. Production : Takami Productions.

Pour en savoir plus, nous avons rencontré ce comédien fascinant ; l'interview est à lire ici.

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