Cahier critique 01/05/2019

“Tant qu’il nous reste des fusils à pompe” de Caroline Poggi et Jonathan Vinel

A brillamment remporté l’Ours d’or à la Berlinale 2014.

Des plans fixent froidement la banalité pavillonnaire tandis que la voix de Joshua rend compte du suicide – “courageux” précise-t-elle – de Sylvain, son meilleur ami. La bande-son méridionale signifie autre chose que la chaleur enveloppante : les insectes semblent se repaître de corps putréfiés, une pesanteur toxique flotte dans l'air.

Avec un sens du cadre et de l'espace très assuré, Tant qu'il nous reste des fusils à pompe s'avance avec une intensité plastique et atmosphérique qui ne se démentira pas. Les apparitions de Sylvain en ange androgyne n'en sont pas vraiment, les niveaux de réalité s'épousent plus qu'ils ne s'entrechoquent ; le “réel” de ces espaces dévitalisés et désertés est déjà de la science-fiction ou du fantastique – un univers parallèle, un anti-monde. Joshua doit épauler son frère Maël, auquel il faut trouver un modus vivendi. À quoi se raccrocher, sinon à ce qui passe par là ? Il s'agira de cette sorte de milice fascisante armée de fusils à pompe et costumée en noir. Elle officie sous un nom et un blason : “Iceberg”.

Loin de s'ériger en juges (de la violence, des armes, etc.), les réalisateurs composent une fable dérangeante où se joue, dans un premier degré, le combat de deux naufragés contre la solitude. Et, au-delà, un impérieux besoin de fiction se manifeste dans la nécessité d'une croyance en un récit “merveilleux”. Les références à un imaginaire mythologique (comme les rites initiatiques) empruntant largement au Moyen-Âge sont multiples – certains segments musicaux y renvoient aussi. Le sésame pour l'entrée dans la confrérie se trouve d'ailleurs dans un château dont il convient d'explorer chacune des pièces. C'est peut-être pour y conjurer une enfance perdue qu'il faut, au passage, renverser et détruire les jouets qui peuplent le lieu.

Arnaud Hée

Article paru dans Bref n°112, 2014.

Réalisation et scénario : Caroline Poggi et Jonathan Vinel. Image : Raphaël Vandenbussche. Montage : Vincent Tricon. Son : Romain Ozanne, Maxime Roy et Clément Laforce. Interprétation : Lucas Doméjean, Nicolas Mias et Naël Malassagne. Production : G.R.E.C.

Rencontre avec Caroline Poggi & Jonathan Vinel, réalisateurs du film Tant qu'il nous reste des fusils à pompe –Université Paris 8