Cahier critique 29/05/2019

“Splintertime” de Rosto

Le troisième volet de la “Tétralogie” dédiée à son groupe de rock, Thee Wreckers, par Rosto.

“Zip up and Let’s Dance to the Sound of Breaking Glass”.

Troisième segment de la tétralogie musicale de Rosto, Splintertime en est assurément le plus abouti. Le plus crépusculaire aussi, l’œuvre du réalisateur l’étant pourtant déjà dans son ensemble. Un prologue en forme de cauchemar – un canard à pieds humains coiffé d’une casquette nazie nous agresse, sans raison apparente, du fond d’une cave aqueuse – débouche sur un infini, blanc et immaculé. Une ambulance – magnifique DS Citroën vintage – fonce et semble ne plus trouver son chemin dans ce paradis blanc. À son bord, une infirmière survoltée tient le volant, les membres du “e-groupe” Thee Wreckers – alter egos monstrueux aux têtes disproportionnées créés à la base en peinture par l’artiste hollandais – en sont les passagers à l’arrière. 

Entre la country alternative des 16 Horspower et le rythm’ and blues de Willy DeVille, le rock mélancolique des Wreckers accompagne ce rodéo divin jusqu’à la chute : l’accident de voiture dans lequel les quatre musiciens viennent de trouver la mort. Rosto excelle dans le maniement de l’animation et de son alliage aux prises de vue réelles. Ce rendu graphique hybride est saisissant d’harmonie, de perfection dans le détail. 

Sur la civière à l’intérieur de l’ambulance, une tête coupée attaquée par un nuage d’insectes indéterminés, se décompose. Elle est le reste de l’employé broyé par le système dans les deux opus précédents1. Image du père du réalisateur, voire des quatre membres du groupe, ce personnage fil rouge, crucifié à la fin de Lonely Bones, semble devoir terminer sa course au Paradis, récompense d’une existence laborieuse et soumise. Rosto et ses “frères”, disciples fantômes aux âmes damnées, sont refoulés au purgatoire. Le réalisateur, via son double bien nommé God Devil, arpente ici fiévreusement les contrées inconnues de l’au-delà et sa crainte des trompettes du jugement dernier. La disparition récente de l’artiste fait résonner de façon troublante les angoisses récurrentes qui parsèment son œuvre, et tout particulièrement celles, plus personnelles, disséquées dans Splintertime et Reruns, l’ultime volet de la tétralogie. 

Dans son film court Faire la mort, Alain Cavalier se questionne sur le fait de donner la mort à ses personnages dans un film de fiction, et de filmer de vrais morts, en l’occurrence ses propres parents, pour un “documentaire”. L’expérience ébranla le “filmeur”au point de décider de ne plus jamais faire mourir l’un de ses personnages. En écrivant, mettant en scène et jouant son propre trépas dans Splintertime, souhaitons que le torturé, et regretté, Rosto ait entraperçu une apaisante lumière jaillir de ses pensées ténébreuses, et qu’il danse au son du verre brisé au Paradis.

Fabrice Marquat

1. No Place Like Home (2008) et Lonely Bones (2013).

Scénariste : Rosto. Image : Stephan Schmidt. Montage : Rosto et Nicolas Schmerkin. Musique originale : Thee Wreckers. Production : Studio Rosto A.D., Autour de minuit et Soil.