Cahier critique 27/03/2019

“Skhizein“ de Jérémy Clapin

À 91 centimètres plus près de la folie.

En deux courts métrages, Jérémy Clapin semble apposer sa marque de fabrique, plus conceptuelle que technique. Dans Une histoire vertébrale, son personnage avait la particularité d’avoir la colonne vertébrale pliée à 45 degrés, et vivait la tête penchée, sans rien voir d’autre que le sol. Dans Skhizein, Henri, à la suite d’un accident de météorite, vit à 91 cm de lui-même. À travers ces deux films, Clapin questionne la normalité et le quotidien, le rapport aux autres et à soi-même. 

Dans Skhizein flotte un sentiment étrange et inquiétant. Henri, obligé de vivre à 91 cm de son environnement, semble être accepté tel qu’il est, mais c’est en fait plus grave : personne, ou presque, ne remarque son nouvel état, ou même ne le remarque tout court. Skhizein pourrait être une comédie : “Un homme vit à 91 cm de lui- même.” Pourtant, il n’a rien de drôle, ou alors c’est par la force des choses. Jérémy Clapin instille une atmosphère mélancolique mêlée de fantastique. Skhizein est presque monochrome, dans des camaïeux de vert et de gris qui tirent vers le noir et blanc, et surtout vers le noir. Mélangeant personnages et décors en 3D à des objets en prises de vues réelles, le film semble avoir retenu des vestiges d’un autre monde : le nôtre. Tout est faux, mais pas tout à fait. La musique de Nicolas Martin, tout en violon, et la voix de Julien Boisselier en Henri, claire mais qui semble avoir peur de se faire trop entendre, soutiennent l’impression de mélancolie et d’enfermement du personnage dans le monde qu’il se recrée, au sens propre comme au figuré, à quelques centimètres du monde réel. Lors d’une consultation chez son psychanalyste, Henri dit “Vous ne pouvez rien faire pour moi” et tente d’expliquer vainement la différence entre une météorite et un astéroïde. Ces deux phrases, tout comme l’état d’Henri qui empire de jour en jour, exacerbent l’ambiguïté du film qui, à sa fin, explicite l’état d’Henri comme une simple folie. Mais cette folie, l’accepte-t-on pour ce qu’elle est, ou fait-elle partie de notre quotidien au point qu’on ne la voit plus, comme Henri, qui vit entre deux étages ?

Cécile Giraud

Article paru dans Bref n° 84, 2008.

Réalisation, scénario et graphisme : Jérémy Clapin. Animation : Jérémy Clapin, Stéphane Piera et Peggy Portal. Décor : Jean-François Sarazin, Loli Irala Marin et Raphaël Bot-Gartner. Son : Marc Piera. Musique : Nicolas Martin. Interprétation : Julien Boisselier. Production : Dark Prince.