Cahier critique 09/01/2017

"Rentrée des classes” de Jacques Rozier

Le cinéma buissonnier de Jacques Rozier prenait naturellement sa source dans cet éloge lumineux de la fugue et de la liberté. L’art de prendre son temps...

Voir ou revoir Rentrée des classes, c’est regarder le temps.

Le temps passé, d’abord, lorsque la rentrée avait lieu début octobre et que le maître d’école portait une blouse ; cette époque où le cœur du village était encore sa place principale et que les annoncés municipaux étaient fait à la criée. Parfum d’authentique suranné porté par des personnages à l’accent chantant et aux objectifs simples.

Le temps qui passe, ensuite, qui initie la narration : le premier court métrage de Jacques Rozier est avant tout un film sur la transition. Celle de la fin des vacances et du retour en classe, mais aussi, et plus profondément, de la fin de l’enfance. La date sonne comme un glas sur le visage du petit René Boglio, dont la trajectoire du regard est appuyée par une légère contre-plongée : “La rentrée des classes aura lieu lundi 3 octobre à 9 heures.” Annonce aussi inévitable que celle de la voix du destin, chez Jacques Rozier, cependant, les contraintes appellent les échappées : l’impulsive – et innocente – transgression provoquée par un pari ne peut alors rendre que plus savoureuses les quelques heures de sursis accordées à l’enfance.

Ainsi naît le troisième temps dont se pare le film, moelle poétique du récit, universel dans sa subjectivité. Les quelques heures à suivre le courant du fleuve sans en craindre les conséquences, sans se soucier d’avoir froid non plus que de maîtriser son chemin, se nimbent de la liberté insolente si chère à celui qui la filme : l’énergie de René se déploie toute en sinuosités, en facéties, qui épousent les formes de la nature et s’opposent à l’ordre strict et vertical lié à l’univers de l’école.

Tendre image de l’opposition nature/culture, l’élève buissonnier substitue à la connaissance figée prônée par le maître un savoir intuitif, exalté le temps d’une très belle scène, presque dansée, avec un serpent d’eau ; symbole de sagesse et de connaissances, ce même serpent, malicieusement introduit dans le cahier d’exercices du camarade n’ayant pas su honorer son pari, effraie l’ensemble de la classe. Véritable trouvaille plastique, cette intrusion du vivant dans l’ordre libère l’énergie contenue par la structure scolaire, et les écoliers fuyant dans les rues rappellent, le temps d’un instant, l’écoulement du fleuve.

René, bien sûr, doit grandir. La rêverie s’éloigne avec le serpent délicatement remis à l’eau par ses soins ; cela fait partie de son charme. Rentrée des classes est une flânerie généreuse et espiègle dont la fluidité insouciante évoque nos fantasmes d’enfants avec une tendresse acidulée : un instituteur qui s’insurge davantage devant les erreurs commises par un adulte que contre l’enfant qui a jugé bon de lui déléguer ses devoirs, pourquoi pas ? Jacques Rozier entrelace repères temporels précis et dilatation onirique témoignant déjà d’un goût certain pour le récit de parenthèses.

Et quoi de plus agréable, dans le cinéma, que de s’immerger dans la densité du temps ?

Claire Hamon

Réalisation : Jacques Rozier. Scénario : Jacques Rozier et Michèle O'Glor. Image : René Mathelin. Son : Jean Duguet et Jean Pouleau. Montage : Michèle David et Raymonde Nevers. Musique : Darius Milhaud et Corelli. Interprétation : René Boglio. Production : Dovidis Films.