Cahier critique 03/04/2019

“Rémy” de Guillaume Lillo

Grand Prix du Festival de Brive 2018.

Guillaume Lillo recrée le langage cinématographique à partir d’images prélevées sur la gigantesque Toile de l’internet, double du monde mais dont on peut s’approprier directement les éléments, sans l’entremise d’appareils de prises de vues, sans filmer : c’est déjà du sensible “mis en boîte”, redimensionné, visible et saisissable, bien qu’immatériel. Le cinéaste concocte une autofiction qui se présente comme un faux journal filmé. Le personnage central, c’est Lillo lui-même (dont on voit les mains, les pieds… à moins que ne ce soient encore des images de YouTube ? Le doute subsiste là), qui s’est retiré dans une maison isolée avec son chat et ressasse sa solitude, son désarroi. Rémy le tatoueur n’apparaît que vers la fin : encore un faux-semblant. C’est le seul être humain avec qui il peut vraiment échanger.

Lillo ne réalise pas un film d’art vidéo, ni une œuvre de contestation sociale (du type “pamphlet visuel”), deux pratiques qui ont investi l’internet ces dix dernières années et connaissent les sélections festivalières. Le réalisateur promeut un moyen métrage intimiste qui traite du malaise d’un jeune homme d’aujourd’hui, seul et désargenté. Des coups de fils (réels ou fantasmés) à ses parents et à une problématique petite amie qui se dérobe sont les seules données concrètes de cette mini-fiction avant la disparition de son chat Michigan, figure cubiste et synthétique obtenue par l’hybridation de figures de plusieurs félins, qui fait bouger le héros et le sort de sa tanière.

Les images glanées sur la Toile par l’artiste ne sont pas restituées telles quelles. On remarque un considérable travail de recadrage, d’élimination des scories visuelles, de restauration d’une unité cinématographique par la transformation des chaînes d’images en plans, qu’on monte et qu’on hybride par la suite, comme dans le cinéma classique. L’univers proto-filmique de Rémy est également d’une grande richesse : étendues enneigées, hiboux, chats, biches. Une seconde unification du matériau se fait par la voix-off du cinéaste qui marque et souligne le sens qu’il veut donner à ce poème symphonique : une ode à la solitude, pas tant (mais un peu tout de même) métaphysique que réelle, concrète : il ne manque pas, aujourd’hui, de jeunes – ou de moins jeunes – individus voués à la solitude et au désarroi matériel et moral.

La nature des images convoquées, “confisquées” à la grande mémoire collective, représentent un vaste spectre : on y voit des jeunes femmes générées (en totalité ou en partie) par images de synthèse, des jeux vidéo, et des plans de neige et d’oiseaux on ne peut plus naturels.

Rémy raconte et montre. La voix-off narre des épisodes de désarroi où parents pingres et amie lointaine squattent la pensée du protagoniste, et le manque d’argent et de perspectives constituent son quotidien. Les images montrent un univers foisonnant qu’il ne faudrait pas rattacher à une quelconque psychologie ou, alors, comment ramener ces images d’hiboux ou de biches aux pensées du garçon solitaire ? Non, il s’agit plutôt d'une construction filmique artistique, presque une métaphore à la limite, et c’est beau !

Raphaël Bassan

Réalisation, scénario, montage et interprétation : Guillaume Lillo. Son : Agathe Poche. Production : Dreamachine Productions.

Rencontre avec Guillaume Lillo, réalisateur de Rémy - Festival du cinema de Brive :