Cahier critique 17/10/2018

"Panthéon Discount" de Stéphan Castang

Médecine 3.0

Ce ne sont que quelques murmures, que quelques pas sur un linoléum ordinaire, mais déjà l’univers se tend. Au fond du cadre, trois personnes, de face, attendent, et de la frontalité, on ne sort jamais tout à fait indemne. Il y a en elle un magnétisme essentiel, au cinéma comme ailleurs. Nimbée de cette force propre à l’évidence, la frontalité happe, interpelle et confronte l’altérité. Impossible, en effet, de se dérober à ce qui fait indéniablement face et convoque impérieusement par ce rapport même les corps qui l’excèdent ; c’est alors un lien actif qui s’avive entre ces deux présences, entre regardé et regardant, acteur et spectateur.

Dans Panthéon Discount, cela est plus vrai encore. Parce que le dispositif que met en place Stéphan Castang repose sur un minimalisme formel – tant par le travail de l’image, proposant des cadres fixes à la composition efficace, que par le traitement de la bande sonore jouant de timbres froids et assourdis –, tenu rigoureusement sur l’ensemble du court métrage ; rien ne vient atténuer l’âpreté de l’adresse ni distraire de l’audace de ce geste de mise en scène. Les corps et les visages, saisis dans un noir et blanc aux nuances profondes, s’offrent et défient ainsi à la manière d’un écho – semblable et néanmoins déformé et lointain – le monde qui leur fait face, éloignant fards et artifices par cette mise en regard directe et active.

Or c’est précisément au travers de ce lien étroit qu’éclôt la tension acérée qui transperce et dont se nourrit le récit de Panthéon Discount. Film d’anticipation investissant les horizons de la médecine en 2050, le court métrage se refuse longuement à tout contrechamp ; c’est alors d’abord au présent impuissant du spectateur que les personnages se heurtent dans une succession de montages parallèles, isolés chacun au sein de son propre cadre, et demeurant sourds les uns aux autres. Seule leur parvient du hors-champ la litanie médico-économique d’un même médecin, aux accents tantôt bienveillants, tantôt pressants, leur prescrivant les alternatives déterminées par leurs pathologies, bannissant d’un même geste toute ouverture à l’aléatoire et à l’incertain. C’est l’appel ferme à un suicide assisté parce que la thérapie nécessaire, au-dessus des moyens financiers du malade, lui est inaccessible, le désir borné de réparer un handicap comme s’il s’agissait d’une regrettable défaillance dont on peut s’affranchir lorsque l’on en a le budget ou la soudaine et terrible nécessité d’opérer sciemment des choix entre ses souvenirs lorsqu’il n’y a plus les capacités – tant physiologiques qu’économiques – de les préserver. Davantage, la sensation d’enfermement s’accroît par l’invisibilité de cette présence qui contrarie alors toute velléité de dialogue cinématographique ; à ces prescriptions tranchantes ne répond que le désarroi des visages qui les reçoivent. Violence immense… 

L’habile dispositif de Stéphan Castang enserre ainsi le spectateur entre des détresses physiques qui le pressent du regard et un discours, rationnel jusqu’à l’absurde, n’appelant aucune contestation et lui parvenant par-delà lui, contaminant même progressivement l’image par un effet de bulles de réalité augmentée ; la tension provoquée par ces frottements stériles ne peut alors qu’irradier, déborder par la grâce de la mise en scène les limites spatio-temporelles du récit pour inventer celles, propres, du film.

Regarder Panthéon Discount, c’est ainsi se confronter à l’univers décalé d’un récit d’anticipation (rappelant confusément les prédictions – pas si lointaines – d’un Georges Bernanos), contre lequel le cinéma résiste, révélant ici par l’entrechoc de temporalités un accent curieusement actuel, rappelant là, par l’insistance des champs, la nécessité du contrechamp. Et c’est dans ce regard, porté sur le contrechamp, que se dénoue le film. La persistance d’un visage – et d’émotions ? –, comme la promesse – infime, peut-être – d’une humanité survivant à la technique. L’éternel combat du cinéma, en somme.

Claire Hamon

  • Réalisation, scénario et montage : Stéphan Castang. Image : Jean-Baptiste Moutrille. Son : Émilie Mauguet et Matthieu Langlet. Musique originale : John Kaced. Interprétation : Jean-Pierre Kalfon, Martine Schambacher, Christian Delvallée, Sébastien Chabane et Anne-Gaëlle Jourdain. Production : Takami Productions.

En partenariat avec 

 

Rencontre avec Stephan Castang par Ségolène Vla – Festival Le Court Nous Tient, Seine Saint-Denis :