Cahier critique 28/03/2018

“Notre dame des hormones” de Bertrand Mandico

Alors que sort sur les écrans “Les garçons sauvages”, découvrez ce précédent opus de Bertrand Mandico, à l’univers à la fois obscène et féerique.

À la faveur d’une promenade dans les bois, un couple d’actrices vieillissantes (Nathalie Richard et Elina Löwensohn) découvre une créature, sorte de panse vibrante, chevelue et visqueuse. C’est dans leur château peuplé de femmes-lampes et d’hommes-statues, que les deux belles rapportent la bête qu’elles se jalousent. Fidèle à l’héritage de Jean Cocteau qu’il cite abondamment dans ce mélange d’organique et d’inanimé, de prosaïque et de fantastique, Bertrand Mandico aime, comme le poète, à truquer l’image au tournage pour éviter toute manipulation de post-production. En revanche, c’est en studio qu’il retravaille scrupuleusement la bande-son, strate par strate, jusqu’aux intonations des dialogues auxquelles les interprètes donnent une drôlerie vacharde et sarcastique.

Formant un cabinet de curiosités dans lequel le mauvais goût et le répugnant sont bienvenus, ce huis clos interpénètre nature et architecture, comme se télescopent les influences artistiques (couleurs chaudes du giallo, saxo langoureux d’un cinéma érotique bas de gamme, ou le scintillement des bijoux et costumes d’un Kenneth Anger). Comme Nathalie Richard dont le corps est enduit de paillettes, l’image, chez Bertrand Mandico, est vêtue, décorée, magnifiée par des fumées, des effets de projections et de miroitements. Comme si la réalisation relevait d’un rituel semblable à ceux, faits d’incantations obscures, qu’ils racontent : le cinéaste, de son propre aveu, fabrique ses films “comme il peut”, inversant par exemple l’ordre conventionnel de l’écriture du film en préférant imaginer dans un premier temps des dialogues précis dont le contenu servira ensuite à créer la trame d’un récit.

Le récit de Notre dame des hormones forme une boucle, faisant d’abord du sur place dans une succession de tableaux presque autonomes, dont les titres évoquent la littérature feuilletonnante du XIXe siècle, pour revenir à son point de départ avec l’évocation d’un vieillard aux tétons démesurément proéminents. Si le récit des Garçons sauvages – actuellement en salles – prend le large de l’aventure vers des contrées inconnues, le premier long métrage de Mandico tourne lui aussi en rond, rejouant pour sa conclusion le sacrifice initial de l’institutrice (Nathalie Richard, encore une fois) en punition duquel ils ont été envoyés en croisière de pénitence. On pourrait même dire qu’il fait quelques pas en arrière vers Notre dame des hormones, sa matrice à bien des égards. Outre qu’on y retrouve son duo de comédiennes hantées par l’idée de finir “au cimetière des actrices oubliées”, on y croise à nouveau les obsessions du cinéaste pour ce qu’il nomme “le paysage hormonal”, fusion d’une nature exubérante et d’une sensualité qui ne demande qu’à se débrider, comme son goût de trafiquer la matière audio-visuelle du cinéma et de la tordre par une voix off narquoise. Mais ces cinq garçons que leur violence met au ban de la bonne société sont aussi de proches cousins du metteur en scène de Notre dame…, figure androgyne rock à la David Bowie interprétée par Agnès Berthon auquel le doublage prête une voix masculine rocailleuse. Dans le court métrage, les deux complices se débarrassent avec une barbarie “tragiquement comique” de leur oppresseur. Les garçons sauvages, interprétés par cinq jeunes actrices, sont eux soumis par Elina Löwensohn à la transfiguration.

Raphaëlle Pireyre

France, 2014, 33 minutes.
Réalisation et scénario : Bertrand Mandico. Image : Pascale Granel. Son : Simon Apostolou et Daniel Gries. Montage : Laure Saint-Marc. Interprétation : Elina Löwensohn, Nathalie Richard, Michel Lebayon et Agnès Berthon. Production : Ecce Films.