Cahier critique 30/07/2018

“Madame Jacques sur la Croisette” d’Emmanuel Finkiel

César du meilleur court métrage en 1997.

Madame Jacques sur la Croisette nous convie à une promenade en plein air, à la découverte d'un groupe de vieux juifs ashkénazes, dont la Croisette est le lieu de rendez-vous quotidien et qu'une caméra discrète observe au carrefour des vies. Le film nous émeut par ce mélange de visages et de conversations, de travellings et de plans fixes très “posés”, qui traduisent la forte croyance que porte Emmanuel Finkiel en le pouvoir d'incarnation du cinéma : il s'agit tout à la fois de donner un sentiment de pleine réalité et de faire douter sur la nature de ce qui est montré. “Vous pensiez que j'espionnais des gens, semble nous dire le film, et bien pas du tout. Ce sont des comédiens qui jouent devant la caméra.” On oublie en effet que ce sont des acteurs qui parlent, autrement dit qu'ils “mentent”, et on se laisse emporter par le mouvement singulier de ce film, libre et attentionné, par le charme de ces gens dont Emmanuel Finkiel filme l'ordinaire des journées, à la façon documentaire, par où passe le fil ténu de son histoire.

Cet après-midi là, justement, ce petit cercle d'amis attend avec impatience le retour de Madame Jacques sur la Croisette, et parmi tous ces visages alanguis, il y a Maurice, un vieil homme qui ne se satisfait plus de cette monotonie organisée, et que la venue de cette dame – veuve elle aussi – plonge dans un soudain ravissement. Il entreprend de lui faire la cour comme l'adolescent fringant et un peu espiègle qu'il est resté et, sans jamais quitter la pudeur qui le caractérise, l'œil d'Emmanuel Finkiel s'exerce avec une précision rare pour décrire les termes de cette romance singulière. Le récit reproduit à chaque instant son souci de rigueur, de retenue, accordant aux personnages un réel espace d'existence à l'image. Il faut évoquer entre toutes cette scène où Madame Jacques, attendant l'arrivée de Maurice, arrache un bouton de son chemisier pour que, l'instant d'après, celui-ci vienne le lui recoudre de ses mains expertes, geste magnifique qui est la raison de tout le reste, et donne le sentiment poétique de la réalité, au-delà de toute image, comme si au fond le film suspendait son cours.

La beauté de Madame Jacques sur la Croisette tient à cette émotion directe et pourtant sous-tendue par la dérision subtile et chaleureuse des personnages qu'Emmanuel Finkiel suscite avec maîtrise dès son premier film, révélant une précieuse sensibilité de cinéaste.

Vincent Vatrican

Article paru dans Bref n28 (1996).

Réalisation et scénario : Emmanuel Finkiel. Image : Hans Meier. Son : Jean-Claude Laureux. Montage : Catherine Schwartz et William Schmidt. Interprétation : Maurice Chevit, Nathan Cogan, Shulamit Adar, Jacques Spiesser et Rywka Wajsbrot. Production : Les Films du Poisson.