Cahier critique 08/05/2019

“Mad” de Sophie Tavert

Une jeune reporter de guerre face à la folie du monde.

La genèse de Mad n’est pas banale. En 2012, la réalisatrice Sophie Tavert Macian participe à un concours de scénario, le “Marathon d’écriture” du Festival de Valence. Le but ? Écrire en 48h un court métrage sur un thème imposé. Ce sera Mad, qui remporte le Grand prix du meilleur scénario à l’issue du festival, puis voit le jour en 2017. Ce projet ambitieux aborde un genre plutôt inhabituel en court métrage : le film de guerre. Il met en effet en scène Madeleine, une jeune reporter qui est l’une des dernières à couvrir un conflit armé au Moyen-Orient. 

Dès le plan d’ouverture, on voit la jeune femme filmer à travers une brèche dans un mur, tandis qu’une fusillade éclate quelques mètres plus loin. Si l’inquiétude se lit clairement sur le visage de celui qui l’accompagne, sur le sien c’est plutôt la concentration, et la nécessité de ne pas rater ses images. Pour la jeune femme, témoigner au péril de sa vie semble parfaitement intégré et naturel. 

En quelques scènes courtes et elliptiques, Sophie Tavert Macian plante ainsi la situation précaire dans laquelle se trouve son personnage : une rédaction improvisée dans une cave, l’inconfort, le danger permanent. Et soudain l’horreur qui surgit, faisant d’elle la seule survivante de son groupe, obligée de faire équipe avec Mazen, un citoyen reporter prêt à tout pour témoigner de la violence qui frappe son pays. 

La caméra, portée à l’épaule pour nous immerger le plus possible dans l’action, est au plus près des personnages, dont elle ausculte les visages tendus et blafards. Les comédiens Nina Meurisse et Hamza Meziani sont impressionnants de justesse en individus au bout d’eux-mêmes, mus par un impératif commun : survivre. Mais si Madeleine veut se retirer du jeu, n’étant plus capable d’exercer son métier correctement, Mazen cherche coûte que coûte à faire parvenir sa dernière vidéo à la chaîne de télévision Al Jazeera, afin de montrer au monde les exactions de son gouvernement. Cette dissension entre eux est une manière pour la réalisatrice d’aborder la question de la prise de risque et de l’essence du journalisme, sans pour autant donner de leçon, ni apporter de réponses toutes faites.

Au contraire, le film se concentre sur l’ambiance de la guerre, vécue d’un point de vue intimiste, et laisse chacun se demander dans quelle mesure il est possible de préserver son humanité dans un tel contexte. Cela passe notamment par le son, principale source de tension du récit, à travers un savant mélange de détonations, de voix indistinctes et de bruits de pas, ainsi que par un travail sur la lumière qui renforce la sensation d’un danger immédiat sur le point de jaillir de l’ombre.

Même si l’on sent parfois à l’écriture la tentation d’une certaine mécanique dans la construction, notamment dans l’alternance entre les temps forts et les moments de calme, on ne peut qu’être saisis par la sobriété et même le minimalisme avec lesquels Sophie Tavert Macian parvient à nous emporter dans ce récit de guerre sensible. Véritablement vécu de l’intérieur, il semble nous donner un aperçu étonnamment réaliste de l’enfer que deviennent invariablement toutes les zones de conflit dans le monde. 

Marie-Pauline Mollaret

Réalisation et scénario : Sophie Tavert Macian. Image : Thomas Rames. Montage : Christian Cuilleron. Son : Mathieu Villien et Xavier Thibault. Interprétation : Nina Meurisse et Hamza Meziani. Production : Films Grand Huit.

Rencontre avec Sophie Tavert, réalisatrice du film Mad – Festival Kinoma 2018 :