Cahier critique 29/05/2019

“Lonely Bones” de Rosto

Les cauchemars de cinéaste de Rosto en abyme... et en musique !

Dans Lonely Boneson a pitié pour un mort-vivant, héros tragique de Rosto, revenant dans trois des films de sa tétralogie. Habitant d’une ville déserte, effrayé et perdu, il fuit soudain sa chambre, poursuivi par des petites bêtes terrifiantes, tombe au fond d’un puits et se retrouve face à des hommes dans l’ombre, qui le martyrisent pour lui offrir une seconde mort, probablement sans plus de résurrection...

Ce petit résumé ne donne qu’un aperçu biaisé du deuxième volet de la tétralogie, le fil narratif pessimiste demeurant en quelque sorte au second plan, tant il est difficile à saisir entièrement. Le film, comme le dit son producteur Nicolas Schmerkin, est avant tout “physique et sensoriel”, une plongée dans une expérience, dans l’exploration de sphères inconnues. Créé après Le monstre de Nix (2011), plus narratif et initialement destiné aux enfants, Lonely Bones est d’ailleurs présenté par son réalisateur comme un “film-thérapie”, le résultat d’un lâcher-prise après les contraintes du Monstre. Réalisé ainsi librement, avec le désir de se délivrer d’“une boule noire d’énergie”, le film a obtenu un succès inattendu en remportant le Grand prix au Festival d’Ottawa. La musique y joue un grand rôle, présente comme une seconde peau de l’œuvre – son “ADN”, dit Rosto – inhérente à la plasticité de l’image, animée par des moyens aussi divers que le fond vert, le match moving, la prise de vue réelle, et qui pourrait ressembler par quelques côtés à l’imagerie de Tim Burton. Lonely Bones suit le rythme de cette musique comme s’il suivait les méandres d’un cauchemar, d’une fantasmagorie terrifiante. “There is no Place Like Hell”, chante d’ailleurs le groupe de Rosto, Thee Wreckers, dans la chanson introduisant la tétralogie.

Mais derrière cette histoire étrange et triste, il serait possible de déceler un second sens, la face A et la face B d’un même récit. Car, finalement, ce hangar sordide, où le personnage finit par être crucifié, devient un décor de film, puis, se transformant encore, l’installation d’un musée. Rosto a-t-il voulu de cette façon opérer un retour brutal au réel, comme s’il s’écriait : vous avez souffert de ce monde, mais tout ceci n’est qu’artificiel ? Il semble que le réalisateur aimait aller au plus loin dans cet artifice, comme il aimait plonger dans ces mondes fantastiques, proches d’un expressionnisme contestataire. Difficile de donner ici toutes les clefs, car les mystères ne veulent peut-être pas être livrés... Laissons-nous d’abord surprendre par ce trajet esthétique déroutant.

Léocadie Handke

Réalisation, scénario, image, montage et son : Rosto. Musique originale : The Wreckers. Production : Autour de Minuit et Studio Rosto A.D