Cahier critique 10/07/2019

“Les vies de Lenny Wilson” d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux

Prix de la presse “Télérama” au Festival du court métrage de Clermont-Ferrand 2018.

Montmartre, la nuit. Une rue en pente qu’un garçon et une fille escaladent tout en commençant une conversation à bâtons rompus. Et des feux d’artifice qui crépitent dans le lointain, pile dans la profondeur de champ, donnant une touche quasi surnaturelle. Pourtant, à travers cette scène que l’on n’est pas près d’oublier, quelque chose d’essentiel se joue, au fil d’un plan-séquence de treize minutes. Un trauma gardé au plus profond de soi depuis trop longtemps commence à se dissiper pour Boris et Julia, que le hasard a récemment remis en présence, à l’occasion d’un casting pour une comédie musicale autour d’une légende du rock (fictive, mais tout à fait plausible).

L’écriture aura d’abord laissé le doute sur la relation liant les deux jeunes gens ; on imagine évidemment qu’ils formèrent naguère un couple et qu’une rupture les sépara – en la revoyant, Boris donne d’ailleurs un prénom qui n’est pas le sien à Julia, s’en voulant aussitôt et nous laissant croire qu’il n’est qu’un de ces hipsters inconséquents s’embrouillant sur l’identité même de leurs trop nombreuses conquêtes. Ce n’est pourtant pas le cas, loin de là, et le réalisateur manifeste à nouveau ses belles dispositions à instiller de la nuance, de la finesse et de la complexité à des situations qui semblaient connues d’avance.

Certains motifs qui lui sont chers, comme ceux de la perte et du double, resurgissent à travers cette présence qui se dresse entre Boris et Julia. Celle de Lucie, sur laquelle il est évidemment préférable de ne rien révéler ici. Mais on se remémore le membre fantôme de la famille de Poisson (2014), sur un registre différent puisque Les vies de Lenny Wilson est, en un geste programmatique, un film pop, jusque dans son utilisation saillante des lumières (les bleus et les rouges surtout, au début) et de la musique, ce que synthétise une ouverture elle aussi mémorable, où une vingtaine de candidats au casting se succèdent pour interpréter, en veste pailletée, le même morceau en assurant chacun une phrase, ou moins. Ce vertigineux camaïeu de voix et de physiques fait écho au pluriel des existences évoquées par le titre et à ce personnage énigmatique, père de la rock star, qui ouvre une dimension de fantasmagorie pour Boris et Julia.

À ce titre, la figure d’Elvis (!), vague connaissance du premier et qui baratine la seconde au passage, entretient le trouble – son existence est-elle bien réelle ? – et introduit à la fois humour et poésie, tout en tissant un lien direct, via le prodigieux Thomas de Pourquery, avec le protagoniste des Photographes (2015) qui regardait lui aussi le monde sous un angle décalé. Comme un alter ego artistique du réalisateur lui-même ? Pas impossible...

Christophe Chauville

Article paru dans Bref n°124, 2019.

Réalisation et scénario : Aurélien Vernhes-Lermusiaux. Image : Noé Bach. Montage : Thomas Glaser. Son : Matthieu Deniau, Julien Roig et Jocelyn Robert. Musique originale : Matthieu Deniau. Interprétation : Benjamin Siksou, Sigrid Bouaziz, Thomas de Pourquery et Jeanne Rosa. Production : Noodles Production et Le Studio Orlando.

Avec le soutien de la 

Rencontre avec Mathieu Deniau, coproducteur et mixeur du film Les vies de Lenny Wilson 
de Aurélien Vernhes-Lermusiaux :