Cahier critique 27/07/2018

"Les ventres vides" de Julien Guetta

Après la sortie en salles de son premier long métrage, "Roulez jeunesse", découvrez l’un des précédents courts métrages de Julien Guetta.

Dans la constellation des ménages dissociés, devenus le lot commun de bien des récits familiaux contemporains, il est plus souvent question de mères célibataires en proie aux affres d’élever seule un enfant. Les ventres vides fait ainsi figure d’exception en concentrant son regard sur des figures masculines.

Si le film commence, comme beaucoup d’autres, à ce moment où un père séparé vient chercher son fils pour le week-end qu’ils doivent passer ensemble, on ne sait pas encore que la figure maternelle demeurera hors champ et que les tensions entre les parents ne joueront qu’aux marges de cette fiction.

Le retour de l’enfant prodige, un jour de Kippour, dans la boutique de son cordonnier de père, prend des accents tchékhoviens. Son frère, resté ressemeler les chaussures, révélera des rêves inaccessibles. Lui, on le comprend assez vite, a quitté le cocon familial pour travailler dans le cinéma et nous avions déjà soupçonné, à l’état de sa voiture et à sa façon de demander à son fils l’argent que lui avait laissé sa mère, que le succès n’était pas vraiment au rendez-vous. Passage à vide ou décrochage professionnel plus profond ? La situation s’éclaircira peu à peu entre dits et non-dits, effets de surprise et sentiment de répétition.

Tu aurais pu nous prévenir”, l’accueil un peu froid du père n’est que de pure forme. Julien Guetta excelle à distiller par petites touches à quel point cette visite prétendument inopinée relève plus d’un rituel dont chacun connaît tellement son rôle qu’il suffit d’un regard, d’un geste pour qu’ils se comprennent.

Il y va aussi d’une certaines pudeur et d’un zest de fierté s’ils se dispensent de mettre les mots sur les désarrois dans lesquels chacun se débat. Si les ventres sont vides, ce n’est pas seulement à cause de cette journée de jeûne, mais aussi que le cinéma ne nourrit pas le fils, que le commerce du père flageole au point que, depuis la disparition de la mère, ils sont contraints de vendre des objets, comme ces lampes à huile que le fils dit vouloir montrer à son gamin ; ce sera bientôt le tour du piano.

Les scènes à la synagogue sont à l’image du double mouvement qui sous-tend le film. Le rituel religieux figure un sentiment de répétition, mais c’est au cœur de celui-ci que se cristallise un pur moment de tendresse et de solidarité masculines.

Jacques Kermabon

Réalisation : Julien Guetta. Scénario : Julien Guetta et Dominique Baumard. Image : Mathieu Plainfossé. Montage : Noël Fuzellier. Son : Mathieu Villien, Jocelyn Robert et Maxime Champesme. Musique : Mathieu Bélis. Décors : Benjamin Lamps. Interprétation : Marc Citti, Bernard Ballet, Xavier Aubert et Eliott Lobrot. Production : Les Films au Long Cours.