Cahier critique 23/01/2019

“Les lézards” de Vincent Mariette

Vapeur et sueur pour un duo de comédie décapant.

Deux hommes (Vincent Macaigne et Benoit Forgeard) se retrouvent dans un hammam où l’un d’eux a un rendez-vous galant avec une femme qu’il ne connaît pas encore. Une femme passe, elle semble disponible, mais aucun des deux hommes ne réagit. Elle s’en va. Un autre homme (Esteban) entre dans l’arène. Il est cool, décontracté. Aujourd’hui il ne chasse pas, mais en la matière il s’y connaît et il sait qu’Internet est le lieu des toutes les mystifications, que c’est là où l’on se donne le plus de rendez-vous manqués. Les deux hommes comprennent, à demi-mots, qu’ils se sont fait avoir. Mais se sont-ils fait avoir ? Ont-ils réellement perdu leur temps ? Avec ces deux jeunes Parisiens à l’affût de la gent féminine, Vincent Mariette inscrit son troisième court métrage dans la lignée presque traditionnelle du “ciné marivaudage” français dans lequel le cœur de l’intrigue bat autour de la réalisation (du rêve ou du souvenir) d’un flirt. Ajoutez un noir et blanc stylisé, des contrastes soignés, un grain filtré et façonné tel la pellicule d’antan : ces Lézards peuvent se voir comme un hommage à la Nouvelle Vague. Un hommage certes discret puisque le montage, le cadre et le noir et blanc de la NV c’est quand même tout autre chose, mais hommage tout de même à la liberté, au marivaudage, aux dialogues, au “lézardage”. Ce film court, l’un des grands succès de Mariette, peut également se voir comme un épiphénomène précurseur d’un certain cinéma qui, aujourd’hui, de Roma d’Alfonso Cuaron à Leto de Kirill Serebrennikov cherche à ressusciter le temps de l’enfance et du passé. Trempé dans une brume bichrome, Les lézards semble ainsi se dérouler dans une bulle de temporalité achronique et flottante. Le cinéma en noir et blanc est un cinéma sans âge, des premiers temps et du temps éternel. Ici, comme dans ces films précédents (Le meilleur ami de l’hommeDouble mixte) et comme dans les suivants (les longs métrages Tristesse ClubLes fauves), Mariette fait preuve d’un sens du casting inouï, de l’assemblage des gueules cassées, brûlées, illuminées (côté hommes) et de figures soit maternelles soit hyper sensuelles voire objets sexuels (côté femme). Cela pourrait sembler caricatural de ranger les hommes (les deux dandys d’un côté) et les femmes (les poupées de l’autre), c’est néanmoins comme cela que ça se passe ici. Le hammam est une camera obscura, une chambre noire qui renverse et réfléchit tout un jeu d’oppositions en noir et blanc, un jeu d’ombres et de lumières ; c’est à la fois un miroir et un écran déformant, grossissant. C’est là, dans cette bulle, dans ce huis clos huilé de sueur et de fantasmes masculins, que se joue entre apparition ou hallucination ce buddy movie. Car au final il est peut-être moins question de marivauder ici que de copiner : les deux jeunes hommes apprennent à se connaître en se lézardant, en parlant des femmes. In fine, comme la lampe d’Aladin, le génie apparaît à force d’imprécations, d’attente, de silence, de rêve et de chanson (Benoit Forgeard livre a capella une très belle et fidèle interprétation de Seymour Stein, titre du groupe britannique Belle and Sebastian). Finalement l’hommage rendu dans ces Lézards est surtout un hommage à la magie. À la magie de la lumière, de l’amitié, du rêve et du chant.

Donald James

Scénario et réalisation : Vincent Mariette. Image : Julien Poupard. Montage : Fréderic Baillehaiche. Son : Emmanuel Bonnat, Claire Cahu et Ivan Gariel. Interprétation : Vincent Macaigne, Benoît Forgeard, Ginger Roman, Estéban, Mathilde Profit et Manon Droulez. Production : Kazak Productions.