Cahier critique 08/05/2019

“Les enfants du béton” de Jonathan Phansay-Chamson

Schizophrénique “identité nationale”...

Ce premier film, développé dans le cadre de l’EESI, l’École européenne supérieure de l’image, à Poitiers, évoque la question de l’identité nationale, une expression reprise régulièrement par les politiques et les médias depuis le début du XXIe siècle, installant une confusion dans l’esprit de tous sur la définition de ce qu’est “être français”.

Réalisé au fusain, le trait du dessinateur est vif, variable, élémentaire. Tantôt lisse, tantôt grossi, il laisse apparaître les premières esquisses, le cheminement vers la représentation, pour exprimer la confusion de cette “identité nationale” que tout le monde s’approprie.

À la manière d’un journal intime, Jonathan dévoile ses interrogations, son évolution dans la prise de conscience du regard des autres. Celui-ci est intransigeant de la part des politiques qui veulent diviser et exclure les deuxième et troisième générations issues de l’immigration du reste des Français. Leurs mots tranchants et accusateurs règnent au-dessus des conversations étrangères des proches du jeune homme. Le réalisateur donne à ces hommes de pouvoir une apparence décousue, incertaine, à l’image de ce sujet qui s’étire avec le temps mais n’apporte rien. Les médias, quant à eux, se dévoilent par leurs gros titres et leurs phrases accrocheuses qui alimentent la surabondance d’informations. Jonathan confronte ce discours dominant à celui de ses proches, sa mère, son cousin qui exprime l’émergence de nouveaux termes politiques et leur utilisation excessive par les médias qui continuent de faire vivre le débat. “Quel intérêt ?” rappelle le dessinateur au centre d’un diagramme qui reflète la naissance du problème et ses extrapolations. Enfant de l’immigration asiatique, la place de Jonathan est d’autant plus difficile à trouver car ses origines sont peu visibles et peu représentées par rapport aux autres immigrés installés en France. Cette remise en question brutale imposée au jeune homme lui retire le droit d’un visage qu’il dessine déconstruit, parfois changeant de forme, d’autres fois de sens : “Nos visages ne sont pas d’ici, notre culture n’est plus vraiment là-bas”. Le monochrome du documentaire filmé se marie aux quartiers ternes et effacés dans lesquels on souhaite l’enfermer, accompagné d’une bande sonore mélancolique semblable à une promenade sans fin, le point d’interrogation qui subsiste malgré tout. Finalement, dans cette course au positionnement, sa terre d’accueil l’oblige à se définir alors qu’il ne souhaite qu’être lui-même. Poussé à se retrancher là où il se sentait libre, Jonathan conçoit désormais son identité comme une errance, il est destiné à grandir dans le béton.

Aliénor Lecomte

Réalisation, scénario et image : Jonathan Phanhsay-Chamson. Musique originale : Edison Knight. 
Interprétation : Élodie Chamson, Sayalate Khamvongsa et Ludovic Henrique. Production : École européenne supérieure de l’image.