Cahier critique 17/04/2019

“Les bigorneaux” d’Alice Vial

César du meilleur court métrage 2018.

César du meilleur court métrage en 2018, Les bigorneaux est un film précis, à la construction millimétrée et qui, sous couvert de comédie, aborde le sujet grave et rare de la ménopause précoce. Ce faisant, et tout en prenant à bras le corps cette pathologie méconnue, il brosse surtout avec une immense pudeur le portrait ténu d’une relation père/fille faite de non-dits et de plaies encore douloureuses. 

Dans le très beau cadre de Brignogan-Plages, en Bretagne, qui est à l’origine du désir de la réalisatrice Alice Vial de tourner le film, se dresse un petit café typique, où l’on mange des tartines de coquillages en regardant la mer, sous un ciel aux impressionnants camaïeux de gris. Là, Zoé travaille derrière le bar avec son père. La première scène du film la montre au réveil, cadrée en très gros plan, le visage et le corps en sueur. Plus tard, on la voit prise de nausées, puis vomissant devant le paysage que viennent admirer les touristes. Alice Vial joue sur les habitudes du spectateur et l’amène sur la fausse piste d’une grossesse imprévue, puis déjoue ses attentes avec la révélation du syndrome qui la touche. 

Ces mouvements de balancier, entre la situation convenue et son dénouement, entre l’humour des dialogues et la tristesse qu’ils dissimulent, entre les tonalités tour à tour désespérées et joliment décalées de l’intrigue, sont la grande réussite du film. On sourit beaucoup devant les répliques au cordeau lancées avec un débit de mitraillette par la merveilleuse Tiphaine Daviot, ou face à l’air égaré de Philippe Rebbot, que l’on sent perpétuellement dépassé par les événements. Et en même temps, on est ému par le drame intime que traverse la jeune femme, que la réalisatrice nous décrit par le menu : les bouffées de chaleur, l’arthrose, et surtout ce sentiment d’un vieillissement prématuré, d’une “expiration avant terme”, à l’injustice flagrante. 

Il est rare que le cinéma s’empare de ce type de sujets, mais Alice Vial le fait avec un mélange de retenue et d’autodérision qui empêche le film de n’être qu’un “film à sujet”. Au contraire, traitée en tant que telle, la ménopause précoce devient aussi le déclencheur, pour le personnage, d’une prise de conscience personnelle. C’est là que se noue cette relation familiale si complexe avec un père que l’on sent trop présent, et en même temps à distance, et le spectre d’une mère disparue trop tôt. Alice Vial ne fait pas vibrer la corde sensible pour le plaisir, mais offre à son personnage un cadre sensible dans lequel évoluer, exister, puis d’où chercher à s’échapper. Elle réalise ainsi un film doux amer sur la nécessité pour tout le monde de prendre, tôt ou tard, son envol.

Marie-Pauline Mollaret

Réalisation et scénario : Alice Vial. Image : Brice Pancot. Montage : Nicolas Sarkissian. Son : Sylvain Rety et Pierre-Albert Vivet. Musique originale : Pierre-Antoine Durand. Interprétation : Tiphaine Daviot, Rébecca Finet, Anouchka Csernakova, Lety Pardalis, Olivier De Narnaud, Gérard Bohanne, Thierry Machard et Philippe Rebbot. 
Production : Les Films du cygne.

Rencontre avec Alice Vial, réalisatrice du court métrage Les Bigorneaux - César 2018 :