Cahier critique 17/07/2019

“Le voyage dans la Lune” de Georges Méliès

Un classique qu’on ne présente plus...

Le Voyage dans la Lune quitte vite l’immobilisme guindé et le ton professoral de l’amphithéâtre où le professeur Barbenfouillis expose à ses confrères le fonctionnement de la fusée qu’il a inventée, pour se déplacer dans l’atelier de fabrication de l’obus géant, merveille de condensation en aplats et fausses perspectives du gigantisme industriel. En plusieurs tableaux, le voyage parcourt les paysages d’une Lune de moins en moins accueillante pour ses visiteurs, jusqu’à les expulser par la force. Adepte du prosaïsme des calembours et bons mots, Méliès insiste sur le “clair de terre” vu par les explorateurs depuis leur première nuit à la belle étoile autant qu’il ne cherche la poésie de ce lieu encore vierge de présence humaine. 

L’anticipation sert ici de prétexte à Méliès pour récapituler tout son répertoire de trucs, disparitions, apparitions, transformations et autres machineries pilotées depuis son studio de Montreuil, conçu comme un théâtre de magie. Les trouvailles visuelles de celui qui officia aussi dans la publicité (l’alunissage dans l’œil de l’astre gourmand, le décor de champignons géants etc.) trouvent encore aujourd’hui toute sortes d’hommages. En 1902, alors que le film était le plus vu au monde, elles firent l’objet d’un piratage sans vergogne. Les forains en copiaient la pellicule, tandis que, de par le monde, bien des studios enregistraient leur propre périple astral, dont le plus connu reste Excursion sur la Lune (1908) de Segundo de Chomon. Pour se prémunir de cette rançon du succès, Méliès apposera par la suite le logo de sa société, la Star Films, sur chacun de ses plans.

L’exploitation du Voyage dans la Lune témoigne d’une concurrence démente dans l’engouement d’une industrie naissante. Elle constitue également l’apogée de la carrière de cet héritier de toute la tradition de spectacle du XIXsiècle (dans les quelques 500 films qu’il a réalisés, la caméra sera irrévocablement placée “à la meilleure place d’un spectateur de théâtre”). C’est aussi le début du chant du cygne d’un système de production à la tête duquel Méliès fait office de grand patron paternaliste : depuis son studio, il entend maîtriser toutes les étapes de la fabrication de ses films : costumes, décors, peinture à la main de chaque exemplaire, jusqu’à l’écriture du boniment prévu pour la salle. Sans percevoir la transformation de ce divertissement naissant en un art collectif. 

Raphaëlle Pireyre

Scénario et réalisation : Georges Méliès. Production : Star Film, version restaurée par Lobster Films.