Cahier critique 02/07/2018

"Le repos des braves" de Guillaume Brac

Partez à la conquête des Alpes… à vélo !

Ce documentaire suit la fin mélancolique du parcours alpin titanesque de cyclistes amateurs (retraités pour la plupart) venant se reposer sur les rivages de la Méditerranée avant de retourner chez eux avec les souvenirs glanés sur la route. Le cyclisme a toujours eu une dimension cinégénique privilégiée. En 1962, Louis Malle dédiait un court métrage documentaire au Tour de France : Vive le TourGuillaume Brac, lui, filme des amateurs, loin des foules et des médias. Au contraire, le coureur est ici souvent seul sur la route et isolé dans le cadre. On voit des vélos défaits et des roues démontées en même temps qu’une mise à nu des cyclistes. On observe les retraités monter des cols, surmonter un chemin métaphorique qui devient de plus en plus compliqué, comme la vieillesse qui se profile. Pédaler convoque les traces du temps, ce qui se manifeste concrètement dans le film avec ces images d’archives qui se mêlent étroitement à la narration. Pendant que ces passionnés – véritables personnages de cinéma – pédalent, ils relatent en voix off quelques anecdotes cocasses (comme un mal de fesses), mais aussi de véritables souvenirs fondamentaux sur l’enfance ou le temps qui passe. 

Le vélo est un motif constant chez Brac. C’est un outil narratif dans son premier court métrage, Le naufragé, avec cette bicyclette qui crève comme un récit qui déraille ; ou un véhicule qui permet de circuler à travers les paysages et marque une parenthèse vers un monde plus radieux dans Tonnerre. Dans Le repos des braves, le vélo permet de parler brillamment de la solitude des hommes – un thème cher à Brac –, mais aussi de créer des images saisissantes, notamment des coureurs perdus dans le flou d’un blizzard. Ainsi ce parcours devient-il métaphysique et teinté d’irréalité.

Il faut dire que le cinéaste est un fin portraitiste. Dans ses fictions, il met habilement en scène des personnages noyés par le mal être (mal d’amitié ou mal d’amour), qui tentent maladroitement de remplir des vides. Il parle ici de camaraderie et d’un doux déclin, celui du tumulte calme qui bouillonne chez les coureurs. Les premiers mots prononcés par un cycliste en voix off sont “Je suis assez passionné par l’origine de l’espèce humaineC’est la vie, tout passe très rapidement.” Le programme est infiniment ambitieux : être à vélo, c’est essayer de dompter le temps ou de tenter modestement d’être au monde. Devant la beauté des paysages des Alpes, une réflexion plus sourde se dessine : que faire, une fois rentré chez soi ? Vivre avec ses souvenirs pour tromper la vacuité des jours ? La véritable bravoure, finalement, c’est d’affronter le retour.

William Le Personnic

Réalisation : Guillaume Brac. Image : Martin Rit. Montage : Karen Benainous et Jean-Christophe Bouzy. Son : Nicolas Joly, Simon Apostolou et Gadiel Bendelac. Production : Bathysphere Productions.