Cahier critique 04/09/2019

“Le métier qui rentre” de Ronan Le Page

Par le réalisateur de Je promets d’être sage.

Déjà remarqué avec Au noir et Le fils du caméléon, Ronan Le Page livrait il y a douze ans ce troisième court. Une aventure estivale, tournée en Charente-Maritime, dans le camping L’Estuaire de Saint-Thomas-de-Conac. Au son des accords du xylophone de la musique signée Fabien Arnaud, c’est le temps des grandes vacances, du relâchement, du farniente, de l’insouciance. Une période cruciale pour Ludovic, le héros ado, dont tous les sens sont en éveil, exacerbé par son âge et par le climat ambiant, propice à tous les fantasmes. Fils de la patronne des lieux, il occupe une place de choix, et en profite. Il connaît tout et voit tout. Parfait pour distraire son ennui, satisfaire sa pulsion scopique, ainsi qu’une autre, soudaine, à la vue d’un portefeuille qui dépasse : la kleptomanie. L’espace délimité du lieu de villégiature collective devient donc un terrain de chasse, où le protagoniste juvénile est encouragé, forcé, conseillé, par un jeune père de famille.

Tout est affaire de regard dans le dispositif judicieusement mis en place par le réalisateur. Le spectateur regarde l’œuvre et les personnages. Ludovic observe les vacanciers et ses potentielles victimes. Franck scrute ce dernier dans son balbutiement de pickpocket. Les estivants admirent l’éclipse, parfaite cohabitation de lumière, d’obscurité et de jeu de masque. Vigie privilégiée, le garçon peut parcourir les allées et varier les points de vue, au milieu des autres ou en retrait, caché derrière les branches des arbres, tout comme Franck, son initiateur, passe d’observateur à acteur, pour tuer le temps. La narration travaille le récit d’apprentissage, où l’initiation se nourrit d’excitation, de peur, de déception puis d’acceptation. Le vol est une métaphore de l’élan primaire : le désir. Ludovic est en effet témoin de la proximité des corps alanguis, disponibles, à la merci de ses plans comme de ses pupilles, et subit un dépucelage métaphorique, par passage à l’acte kleptomane interposé.

Parmi les proies offertes, la première à se faire subtiliser son butin est incarnée par Laure Calamy, encore méconnue, mais qui diffuse déjà une énergie singulière. Ce “journal du voleur” trouve un écho ironique dans la maxime du titre du premier long de Ronan Le Page, qui rime avec son patronyme : Je promets d’être sage. Ludovic, le héros de ce court, ne le promet pas à sa mère, même quand ses mauvais coups sont révélés et que celle-ci le couvre en l’intimant de filer droit. Le métier qui rentre, revendication donc caustique, rejoint la galaxie des films de vacances, estivaux, véritable sous-genre du paysage cinématographique français, de magie poétique en farce ringarde. Une revisite du naturalisme à l’aune du romanesque. Le Page y a apporté sa pierre. Discrète, mais pas si lisse que ça.

Olivier Pélisson

Réalisation et scénario : Ronan Le Page. Image : Gertrude Baillot.
Montage : Michaël Phelippeau. Son : Guillaume Le Braz, Benjamin Jaussaud et Emmanuel Crozet.
Musique originale : Fabien Arnaud. Interprétation : Maxime Baudouin, Jean-Baptiste Puech, Chantal Banlier.
Production : TS Productions.