Cahier critique 18/09/2019

“Le feu, le sang, les étoiles” de Caroline Deruas

Pour en finir avec les “mangeurs de rêves” !

Déjà, ce titre. Superbe, annonciateur des trois tableaux constituant ce beau film enragé. Il y a, dans le second court métrage de Caroline Deruas (après l’attachant L’étoile de mer), une colère qui s’exprime de manière frontale. Une colère presque trop lisible, diront certains, le film assumant – dans ses gros plans déclamatifs, ses références culturelles plus ou moins attendues (de Maïakovski à Guiraudie) et ses prises de parole engagées – une naïveté qu’il est toutefois agréable d’entendre.

La réalisatrice se met en scène avec sa petite fille au lendemain de la victoire de “la droite dure” (ainsi que titrait L’humanité) à l’élection présidentielle de 2007. Les larmes de Caroline coulent dans le prologue, comme coule le sang sur les pavés dans une saisissante séquence de suicides collectifs, une jeunesse hébétée décidant, dans un sursaut romantique, d’en finir avec les “mangeurs de rêves”. Cette parenthèse désespérée et allégorique est encadrée par le sursaut libertaire d’une première partie infusée de pop culture (la musique punk, la danse et le droit à la paresse comme manifeste liminaire) et par un apaisement générationnel où le film – dans une belle séquence de “passage” entre Lena Garrel et son grand-père, Maurice – se pare d’optimisme, confiant dans la belle jeunesse incarnée par sa vibrionnante petite twisteuse.

Si le film s’en éloigne avec son beau noir et blanc et ses cadres affûtés, le didactisme foutraque de L’an 01 de Gébé et Doillon n’est parfois pas très loin (“Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?”, lâche un jeune homme égaré, comme un écho lointain et délavé au “On s’arrête, on réfléchit” des seventies utopistes). Décalage avéré, recherché sans doute – tant dans la forme, les looks des jeunes gens, que dans les dialogues – entre le contexte national d’avril 2007 et une re-création du monde à l’aune d’un idéalisme poétique cultivant sa charmante désuétude. Surtout, redisons-le, Le feu, le sang, les étoiles est un film discrètement autobiographique et une grande part de sa réussite vient de cette manière généreuse qu’a une mère d’y filmer sa fille, belle comme la promesse d’un sursaut, de la révolte et des luttes à venir…

Stéphane Kahn

Article paru dans Bref n° 86, 2009.

Réalisation : Caroline Deruas. Scénario : Caroline Deruas et Claire Legendre. Image : Pascale Marin.
Montage : Floriane Allier. Son : Olivier Dandre, Benjamin Jaussaud et Philippe Grivel.
Interprétation : Lena Garrel, Caroline Deruas et Maurice Garrel. Production : Les films au long cours.