Cahier critique 30/01/2019

“Le bleu blanc rouge de mes cheveux” de Josza Anjembe

Quand l’identité ne se résume pas à un cliché.

Si Le bleu blanc rouge de mes cheveux s’ouvre sur la figure d’un père, ses gestes sûrs, sa parole rare et son corps épuisé, avant de basculer sur celui de sa fille, dont on découvre d’abord le reflet dans un miroir, occupée à coiffer son impressionnante coupe afro, c’est comme pour suggérer d’emblée ce qui unit les deux personnages, dont la relation sera durement questionnée par le film. Seyna a dix-sept ans, elle vient d’obtenir brillamment son bac et souhaite opter pour la nationalité française, ce qui signifie renoncer à la nationalité camerounaise. “C’est comme ça, c’est la loi, il faut choisir”, explique-t-elle à son petit frère. Toutefois, son père ne l’entend pas ainsi : cette naturalisation est pour lui l’insupportable rappel des humiliations passées : “Je ne donnerai pas ma fille à ce pays”, s’emporte-t-il.

Entre le désir absolu de la jeune fille d’être reconnue par le pays qu’elle aime et l’amertume du père pour qui ce sentiment d’appartenance est impossible, quelque chose de fort se noue. Mais le douloureux antagonisme générationnel n’est pas le seul combat de Josza Anjembe. Dans des scènes souvent courtes et nerveuses, la réalisatrice accompagne son personnage dans la poursuite de sa quête. Qu’elle soit au milieu d’une soirée ou dans la rue, la caméra semble vouloir l’isoler dans le champ, rendant compte de son désarroi latent et de la sensation vertigineuse d’abandon qui l’envahit. Même le son, bourdonnant, la coupe du reste du monde auquel brutalement elle a la sensation de ne plus appartenir.

Pourtant, si pour l’administration elle est “hors cadre” (au sens propre, son abondante chevelure n’étant pas compatible avec les normes strictes des photos d’identité), pour le film elle est bien au centre, guerrière tenace qui est prête à tout pour atteindre son but. À la violence symbolique de l’État, qui attend d’elle qu’elle rentre physiquement dans le moule de l’identité française au détriment de sa propre apparence, et donc métaphoriquement de ses origines, elle répond alors par la violence plus symbolique encore d’une quasi mutilation qui fait écho aux heures sombres de l’Histoire. Ce sacrifice final, renforcé par la bouleversante séquence de fin, dit à la fois l’indifférence d’un système tout puissant qui broie ses plus fidèles éléments et la détermination totale qui accompagne toute quête d’identité.

On pourra trouver la démonstration parfois épaisse, voire didactique, mais la sincérité de la réalisatrice, qui est partie d’une histoire intime pour élaborer ce récit de fiction, fait beaucoup dans l’indéniable force d’évocation du film. On reste évidemment saisi par ce qui s’avère a posteriori comme le face-à-face inévitablement déséquilibré entre une jeune fille pleine d’amour pour un pays et la machine froide et insensible qui prétend le représenter. Ce qui n’empêche pas un certain enthousiasme, aussi, face à l’impérieuse volonté du personnage féminin et au lien apaisé qui la relie finalement à son père, envers et contre tout.

Marie-Pauline Mollaret

Réalisation et scénario : Josza Anjembe. Image : Noé Bach. Montage : Clémence Diard. Son : Martin de Torcy, Arnaud Marten et Matthieu Langlet. Musique originale : Jan Visocky et Josza Anjembe. Interprétation : Grace Seri, Augustin Ruhabura, Ousmane Macalou et Mata Gabin. Production : Yukunkun Productions.