Cahier critique 31/07/2019

“Le bel été” de Catherine Paillé

Fin d’un été, fin d’un amour...

Les vagues, les rires, le hâle des corps et la lumière dorée de l’été : c’est un insouciant et familier ressac qui berce personnages et spectateurs du premier court métrage de Catherine Paillé. La plage, les chevauchées à moto et les cheveux au vent pourraient ainsi être là comme autant de tessons élimés par ce rythme répété, adoucis par l’habitude, n’ayant pour seul horizon que celui de recommencer, inlassablement. Sous la moire estivale toutefois, c’est une modulation plus sourde, plus heurtée aussi, qui, dès les premières images, impose la cadence. Car Le bel été n’est pas un été parmi tant d’autres : il est celui qui, du ressac, trouve la bascule. 

Tout est ainsi d’abord affaire de rythme, de deux rythmes en lutte : celui, cyclique, des éléments, contre celui, abrupt, du montage qui en perturbe le cours. Entre, il y a les personnages et leur amour : Anthony, jeune homme à la silhouette encore frêle, et Océane, au visage poupin et à la détermination déjà acérée. Funambules entre deux âges, entre deux rythmes. Que les images d’une même séquence s’entrechoquent en cascade, que les paroles se heurtent au silence ou que le temps s’écoule sans ne plus rien résoudre, et c’est à l’intuitif et éternel présent de l’enfance que les coups sont alors portés. Pris en tenailles, leurs corps accusent la dissonance : la fluidité et la rondeur des éclats de rire et des jeux cèdent sous la rupture brusque et artificielle des plans ; les raccords, francs, tranchants, laissent alors place à l’immobilité de ces corps sonnés, et à leurs paroles sporadiques. Toujours plus difficile à ignorer, l’horizon se précise à chaque brèche, émergeant du ressac, lui signifiant sa fin. 

Le conflit s’éprouve ainsi bien avant qu’il ne s’énonce, sublime de simplicité. Caractéristique du travail de Catherine Paillé, l’histoire, moins que le fruit de rebondissements explicites, est d’abord le reflet d’une mutation intestine, secrète, que met en œuvre la forme cinématographique. Les fanfaronnades sont creusées de silences, le déni d’Anthony, brusqué par l’évidence du temps qui passe – lorsque le soleil, auparavant comme invariablement à son zénith, accélère ses nuances, se fait crépuscule ou cède à la nuit –, fait peu à peu place à l’acceptation.

Quelques séquences, aux tonalités documentaires, achèvent de préserver une certaine opacité autour de ces personnages, les rendant irréductibles à leur désir, leur conférant ancrage et substance, débordant les seuls besoins du récit. Les sorties en mer et la soirée présentent ainsi une densité enthousiasmante, tout à la fois approfondissement et percée dans la trame narrative, stimulant l’apparition de nouveaux équilibres, ouvrant de nouvelles perspectives. Tandis que l’été de l’enfance se termine, Anthony tâtonne, cherche encore sa place : dans le travail, le statut de père et de patron s’emmêle ; dans l’ivresse, l’alcool ne trompe pas la solitude. Le monde, toutefois, s’est ouvert et le rythme cyclique est brisé.

Alors, bien loin de se résoudre, Le bel été interroge, et de cette béance affleure une âpre beauté – celle de la liberté.

Claire Hamon

Réalisation et scénario : Catherine Paillé. Image : Julien Poupard. Son : Marie-Clotilde Chéry, Julien Roig et Matthieu Perrot. Musique originale : Alexandre Zekke. Interprétation : Anthony Frécourt, Océane Ruciak, Jacques Moriceau, Alexandra Guyard et Julien Moriceau. Production : Audience(s).