Cahier critique 24/04/2019

“Lazare” de Raphaël Étienne

Ressuscité grâce à Lazare ?

Familier du moyen métrage depuis À corps défendant en 2005, Raphaël Étienne révèle dès les premiers instants, dans Lazare, la tournure irrévocable du destin de Virgile – interprété par Swann Arlaud – et de son frère défunt, baptisé Lazare par ironie du sort.
Oscillant dangereusement entre la mort et sa dérision, le film est parsemé de touches d’humour noir : tandis que les panneaux directionnels de la morgue indiquent des destinations exotiques, le questionnaire de satisfaction des pompes funèbres est risiblement scandé au mégaphone. Néanmoins, les indices d’une route tortueuse placée sous de mauvais auspices ne tardent pas à se manifester. Une atmosphère mortifère continue de planer sur le convoi, esquissée par la découverte de la dépouille d’un chat suspendue à la station-service.
Après s’être emparé du corbillard, Virgile conduit son frère dans un second voyage, initiatique et cathartique, pour lequel il embauche un conducteur improvisé, un auto-stoppeur coréen qu’il a su amadouer. Tels deux laissés pour compte, le binôme hasardeux se lance dans un périple qui prend des allures de road trip, engagé par une musique entraînante. 
La construction du film dévoile inexorablement le cas de conscience de Virgile, qui jusqu’alors se détournait de sa responsabilité dans l’accident en se justifiant d’une explication rationnelle et “statistique”, liée au siège passager qu’il qualifie de “place du mort”. En débattant sur ces éclaircissements tirés à la hâte, la tension palpable cohabite avec une sorte de comique, d'absurdité, qui met en exergue les méandres de l’esprit du personnage, dont la réalité dépasse le champ d’action. 
Sa prise de conscience, annonciatrice de la fin du voyage, advient alors qu’une silhouette noire est plantée sur le côté de la chaussée, indiquant les morts accidentés. Brutalement tiré de sa rêverie, le protagoniste fait aveu de culpabilité et reconnaît son impuissance dans une confession sincère, exhortée par son convoyeur. Celui-ci a pris, au fil de la route, une place de mentor en adoptant une posture empathique à son égard. 
Le cheminement introspectif de Virgile le conforte à mener son périple jusqu’au bout. Symboliquement, les deux frères atteignent leur destination en arrivant chez leur père, répondant ainsi aux questions qu’ils se posaient tous deux au départ le concernant. La boucle du voyage initial s’est refermée, grâce à la dimension impulsive et libératrice du road movie, que Virgile a saisie comme une échappatoire en direction du salut. 

Léa Drevon

Réalisation et scénario : Raphaël Étienne. Image : Élie Girard. Montage : Coralie Van Rietschoten. Son : Nicolas Paturle et Julien Roig. Musique originale : Duncan Pinhas. Interprétation : Swann Arlaud, Xiaoxing Cheng, Christian Mazzuchini, Christophe Olivier, Philippe Duclos et Cécile Richard. Production : Bathysphère productions.