Cahier critique 15/05/2019

“Las Cruces” de Nicolas Boone

Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2018.

La ville de Bogota, en Colombie, se dessine autour de la construction et du délabrement. Les façades colorées, les chiens errants, l’agitation du quartier et ses animations, rien n’échappe à la caméra qui se tient en retrait, à la manière d’un documentaire, sans intervenir dans les scènes de la vie quotidienne. Une caméra qui témoigne cependant d’une mise en scène méticuleusement chorégraphiée, où les chemins se croisent et les habitants sont voués à se rencontrer. Nicolas Boone en saisit parfaitement l’âme et trace leurs errances à travers la ville, entre recoins et raccourcis escarpés, qui capturent cette circulation hétérogène au milieu du vacarme perpétuel des motos, klaxons et aboiements. 
Un quartier où tout va vite, entraîné dans un ballet incessant d’objets volés, à la manière de cette bande de gamins arrachant des sacs à mains à la sauvette pour se réjouir de quelques babioles avant de les abandonner sur le trottoir. Témoin de ces scènes dérobées, le spectateur a le sentiment de déambuler au milieu d’habitants ne pouvant pas réellement sortir de ce schéma, destinés à répéter les mêmes gestes inlassablement. 

Les personnages, comme la caméra, dessinent l’espace et le temps du film. Une manière de regarder le monde qui fait l’état des lieux d’un climat social en crise où l’unique façon de vivre repose sur la violence, le vol et le meurtre.
Tous les personnages du film, ainsi que le quartier lui-même, ont deux visages : ils peuvent se montrer amicaux ou terriblement violents. Cette nature humaine contrastée est exposée par le réalisateur en mêlant des actes poétiques à une violence frontale, qui expose la fragilité des personnages, n’étant jamais tout blancs ou tout noirs. Sans délivrer de jugement, Nicolas Boone observe ces rencontres fortuites, ces trafics et échanges d’argent régis par des codes implicites qui permettent de frapper aux bonnes portes. Ces activités clandestines ne se préservent pas d’une certaine morale pour autant : “ce que tu fais, on te fera” pourrait subsister comme l’unique règle instaurée dans le quartier. La mort entraîne la mort, qui tue sera tué.
Cependant, la violence côtoie l’espoir et la joie. La ville offre quelques havres de paix au détour d’un cours de danse, de l’apprentissage du billard, ou encore du salon de coiffure du coin qui abrite les conversations entre femmes.

La brutalité omniprésente au sein de Las Cruces est banalisée, si bien que l’avenir de ses habitants semble n’offrir aucune autre perspective. Nicolas Boone dresse le portrait de ce quartier à travers des personnages complexes et infiniment humains, projetés par des acteurs choisis à dessein, dont les expériences de vie font partie intégrante du récit. Ainsi, il nous amène à nous interroger sur notre propre altruisme.

Léa Drevon

Réalisation : Nicolas Boone. Scénario : Julien Guetta et Nicolas Boone. Image : Sofia Oggioni. Montage : Philippe Rouy. Son : Oscar Mendez et Thomas Fourel. Musique originale : Thomas Teheran. Production : Noodles Production.

Avec l'aide de France 3.