Cahier critique 27/02/2019

“La petite mort” de François Ozon

Un homme, son père, sa sœur, la mort.

Habilement, François Ozon met en scène, tout en la décomposant et en la remontant, la fameuse théorie de Georges Bataille : “L’érotisme ouvre à la mort… Il ne faut pas chercher plus loin la cause de l’effroi dont le jeu sexuel est l’objet. La mort, exceptionnelle, est seulement le cas extrême ; chaque perte d’énergie normale n’est en effet qu’une petite mort...” (L’érotisme, Édition de Minuit, 1957).

Le film s’ouvre sur la reproduction, en noir et blanc, de la photo d’un nourrisson. C’est celle de Paul que sa mère envoya, le jour de sa naissance, à son mari ; ce dernier répondit que ce ne pouvait être son fils vu sa laideur.

Paul a aujourd’hui vingt-cinq ans et vit une relation homosexuelle avec Martial. En réponse à cette image fondatrice, il a un lien très fort avec la reproduction photographique : il flashe les hommes au moment de leur jouissance et se soumet lui-même à cette expérience sous l’objectif de son amant. Malgré – ou à cause de – ces transgressions, Paul a un rapport crispé à la sexualité. La tonalité bleue qui domine cette Petite mort indique une certaine froideur dans le commerce relationnel que le jeune homme entretient avec son environnement, froideur que le visage lisse et fragile de l'acteur accentue. Il n'y a que quand il est dans la chambre noire qu'un rouge matriciel envahit le cadre : c'est en créant ses photos que le “héros” vit lui-même.

La petite mort est une fiction semi-narrative. Ozon s'est efforcé de doubler l'anecdote du film – un jeune homme, ayant perdu contact avec son père depuis de longues années, le revoit, à la demande de sa sœur, au moment de sa mort, et se réconcilie indirectement avec lui – d'une construction formelle tournant autour des concepts de voyeurisme, de reproduction et de mort. Il n'y a pas de crescendo scénaristique comme dans Le voyeur de Michael Powell, ni de focalisation avant-gardiste sur l'instrumental (l'appareil photo) comme dans David Holzman's Diary de Jim Mc Bride.

Néanmoins la démarche du cinéaste est assez prenante. D'abord au niveau du syllogisme qu'induit l'œuvre : on photographie ma naissance, je piège avec mon objectif la jouissance des autres, par conséquent en photographiant la mort de mon père, je me réapproprie son dernier souffle vital et je me réconcilie avec lui et avec la photo de ma naissance qu'il avait rejetée. Quelle belle illustration, en escalier, de l'aphorisme bataillen auquel renvoie le titre !

Ensuite, on jauge le doigté d'Ozon à un niveau plus terre à terre, celui des relations que Paul entretient avec sa sœur Camille, représentante de la normalité. Bien qu'hétérosexuelle, cette dernière n'a pas de vie affective harmonieuse et elle envie son frère. De même, après l'enterrement du vieil homme, elle reconnaît, après avoir reproché à Paul de l'avoir photographié à son insu, que le mourant s'est réveillé au dernier moment et a été très content de revoir son fils. Il a eu en quelques secondes un rapport émotionnel plus fort avec Paul qu'il n'avait en durant toute une vie avec Camille et ses sentiments tièdes.

La petite mort est un film-essai passionnant.

Raphaël Bassan

Article paru dans Bref n° 27, 1995.

Réalisation : François Ozon. Scénario : François Ozon et Didier Blasco. Image : Yorick Le Saux. Montage : Frédéric Massiot. Son : Katia Boutin, Gilda Fine et Benoît Hillebrant. Interprétation : François Delaive, Camille Japy, Martial Jacques et Michel Beaujard. Production : Fidélité Productions.