Cahier critique 19/12/2018

"La nuit sera longue" d’Olivier Torres

Se construire contre le père…

Avec son quatrième court métrage depuis 1998, Olivier Torres, qui est en outre souvent l’interprète de ses films, assoit son importance non négligeable dans le paysage actuel de la production française. Sur un format de moyen métrage, il se met cette fois en scène dans la peau d’un véritable sale type, père vil et égoïste que rien ne viendra sauver.

Un père pour qui la nuit risque effectivement d’être longue, après une journée passée en compagnie de son fils, que chacun pourra juger calamiteuse. Les données sont claires : ce pseudo intello se complaisant d’être différent du commun des mortels, écrivain cherchant à placer son manuscrit, n’aime pas les enfants. Il en a bien le droit, le hic étant qu’il en a un, de gamin, qui vit avec sa mère depuis leur séparation... Et il ne trouve dans cette situation que le plaisir égocentrique de se donner une importance (sociale, philosophique ou virile), celui d’empêcher de tourner en rond la vie désormais bien équilibrée de son ex, “rangée” avec un homme plus mûr et plus rassurant. Et puis, il y a cette image grisante, si irrésistiblement excitante pour les Marie-couche-toi-là, du père célibataire, qui ne demande pas mieux pour flatter son ego et accéder à une jouissance facile et sans implication.

Un simple jour suffit à cerner cet état de fait, un banal samedi enneigé passé au Jardin d'acclimatation où ce géniteur malgré lui exposera avec ostentation son inconséquence, son incapacité à endosser la moindre responsabilité... L’idée ne lui traverse pas l'esprit de tendre la main à son fils empêtré dans le labyrinthe d'un palais des glaces ; il se satisfait seulement, en sale gosse arrogant, de s'en être extrait en premier. Vainqueur dérisoire et pathétique... Et, après avoir abandonné le jeune Simon durant plusieurs heures – détail de scénario dont la crédibilité pourra sembler discutable –, afin de suivre chez elle une employée du parc (et la “prendre”, sans fioriture), il le culpabilisera d'avoir échoué à l'infirmerie, lui lâchant qu’il “le fait chier et qu’[il] n'a pas envie de ça”.

Certains regretteront le caractère irrécupérable en bloc de ce personnage odieux d’individualisme, au cœur aussi froid que l’environnement du jardin figé par l'hiver (avec une photographie superbe de Caroline Champetier). Mais la morale du film, c’est justement que son auteur se refuse à lui en donner ; le soir venu, face à sa mère revancharde, si l’enfant nie avoir été mal traité, ce n’est pas pour couvrir son père. Au contraire... Son compte, il le lui avait rendu en son absence (dans un bel usage de montage parallèle donc, indirectement, de hors champ), en singeant son attitude, se saoulant à la bière, non par mimétisme admiratif, mais par dégoût envers l’“enculé”. Mine de rien, il fallait oser...

Christophe Chauville

Article paru dans Bref n°60, 2004.

Réalisation et scénario : Olivier Torres. Image : Caroline Champetier. Montage : Catherine Quesemand. Son : Laurent Benaïm, Mikael Barre et Christian Fontaino. Interprétation : Olivier Torres, Lou Rambert-Preiss, Cécile Ducrocq, Joanna Preiss, Alex Descas, Justine Marche et Marie Menges. Production : 4 A 4 Productions.