Cahier critique 31/10/2018

"La légende du pauvre bossu" de Michel Ocelot

Un conte sombre au fusain dans une ambiance gothique.

Une princesse, sur un haut piédestal, a les yeux dans le vide. Elle doit trouver un prétendant. En arrière-plan, cette princesse insensible semble cernée par ses parents, qui veillent au grain, mais aussi par ces vitraux arborant le motif d’un intransigeant chevalier avec une imposante épée. Elle doit visiblement faire un choix. Les courtisans extravertis se succèdent en offrant leur richesse futile. Néanmoins, un corps dénote dans la foule : un modeste bossu voudrait également atteindre la princesse pour lui offrir des fleurs, mais il est constamment rabaissé, martyrisé et moqué par la cohue.

La légende du pauvre bossu – César du meilleur court métrage d’animation en 1983 – est un conte gothique et cruel qui revisite la figure du saint. Inspiré par les gravures médiévales, l’animation fixe et sans dialogue est d’une éloquence saisissante. Les images picturales se succèdent comme dans un roman-photo, accompagnées par des trouvailles sonores hallucinatoires et l’élégie musicale de Christian Maire. Les lignes sont dessinées à la verticale pour suggérer la raideur royale ; seul le bossu vient briser cette droiture en se tenant penché. Il est habillé de bleu dans un monde manquant cruellement de couleurs (le film a notamment été dessiné au fusain, ce qui donne cette omniprésente dimension d’obscurité). Cette foule déshumanisée aux multiples visages effrayants, telles des gargouilles malfaisantes, marque la véritable difformité.

Michel Ocelot est un narrateur atypique, qui n’hésite pas à expérimenter toutes les techniques d’animation. Les 3 inventeurs était brillamment réalisé avec de la dentelle découpée, tandis que Princes et princesses était, lui, mis en scène comme un théâtre d’ombres. L’éclectisme de ces techniques graphiques sert évidemment un propos où les personnages sont toujours, eux aussi, merveilleusement différents. Chez Ocelot, les protagonistes sont des marginaux aux pouvoirs extraordinaires. On pense à la vaillance inouïe de Kirikou, au-delà de sa petite taille, ou à la clairvoyance de la jeune Dilili dans Dilili à Paris. L’œuvre du cinéaste est marquée par les stigmates de l’intolérance : les “trois inventeurs” se retrouvent pourchassés par la population, leur génie demeurant incompris ; le féminisme est la meilleure réponse contre le patriarcat latent dans Dilili… et, enfin, il faut s’émanciper de son statut social en prenant son envol avec ce médiéval opus. Ici, on voit que, à l’instar du Freaks de Tod Browning ou Elephant Man de David Lynch, la vraie beauté est enfouie à l’intérieur.

William Le Personnic

Réalisation, scénario, montage, image et décors : Michel Ocelot. Bruitage : Joel Simon. Voix : Joel Simon et Muriel Simon. Musique : Christian Maire. Production : a.a.a.