Cahier critique 06/02/2018

"La impresión de una guerra" de Camilo Restrepo

Un film pour lutter contre l’oubli, l’indifférence et l’impunité.

Quand l’auteur de La impresión de una guerra naît en 1975 à Medellin, un conflit armé déchire la Colombie depuis déjà onze longues années. Lorsqu’il réalise ce film en 2015, il a quarante ans et son pays est toujours en guerre, après de nombreuses tentatives de traité de paix et un an avant la victoire surprise du “No” à l’accord de paix, lors du référendum populaire de l’été 2016. Peintre et illustrateur de formation, Camilo Restrepo passe à la réalisation en 2014 ; La impresión de una guerra est son deuxième film en forme d’essai, où la force graphique et picturale supplante tout discours partisan ou scénario fédérateur. 
Il s’inspire en cela du mouvement impressionniste français dont la première œuvre, Impression, soleil levant de Claude Monet, au-delà de l’aspect artistique révolutionnaire, empruntait déjà au mot “impression” toute l’étendue de ses différentes significations. Pour Camilo Restrepo, installé en France depuis 1999, ce sont les sensations que lui inspire ce conflit qu’il a vécu, puis quitté. Il fonde son travail sur une narration picturale et visuelle, un rythme de montage, des cadrages serrés, du mouvement, du symbolisme, entre ombre et lumière. 

Son outil ? Le 16 mm, qui lui apporte le grain, la matière nécessaire, pour sentir de manière tactile les aspérités de l’engrenage de la violence, de la peur qui gangrène toute une nation. Camilo Restrepo détourne les images de leur sens premier, y cherche une poésie cachée : une rivière teintée de rouge par une pollution évoque le sang de la torture, un feu de cuisinière filmé en noir et blanc et en plongée suggère une éclipse solaire apocalyptique dont la Colombie serait la victime depuis plus de cinquante ans. 

Puis il y a l’impression physique : des journaux qui ne disent pas la vérité, des gangs qui marquent leurs territoires par des signes sur les poteaux de rue, des artistes qui investissent les mêmes espaces d’expression pour tenter de contrer la mainmise de la violence sur leurs vies, des associations des familles de victimes qui recouvrent avec des dessins colorés des murs de geôles maculés des traces d’une souffrance incommensurable. Malgré ces surimpressions pleines d’espoir, le réalisateur filme les marques indélébiles de la violence : les tatouages, la scarification des peaux, là où la douleur participe de l’acte de marquer le corps, où l’expression de soi passe par l’automutilation. 

Dans une démarche markerienne assumée jusqu’à l’utilisation d’une voix off profonde et inspirée, Camilo Restrepo collecte les sons, les images, les paroles et compose une mosaïque visuellement poignante, dont l’abstraction plastique de certaines sources, considérées a priori comme perdues – les journaux mal imprimés, les vidéos pixellisées des guérilleros – offre une relecture passionnante de la complexité de l’un des plus longs conflits intérieurs contemporains, et de l’empreinte indélébile qu’il laissera sur des générations de Colombiens.

Fabrice Marquat

Article paru dans Bref n°122, 2017.

Réalisation : Camilo Restrepo. Scénario : Camilo Restrepo et Sophie Zuber. Montage : Bénédicte Cazauran et Camilo Restrepo. Son : Josefina Rodriguez et Camilo Restrepo. Production : 529 Dragons.