Cahier critique 25/11/2020

“La contre-allée” de Cécile Ducrocq

César du meilleur court métrage 2016.

Après Le pays où je n’existe pas (voir Bref n° 104-105) situé à Disneyland Paris, Cécile Ducrocq explore une autre usine à rêves : le monde secret de la prostitution, terre d’élection des arts, à l’origine d’une série d’icônes choyées par le cinéma et plus précisément par la tradition française.

Produit par Année Zéro (la petite boîte qui monte de Stéphane Demoustier), La contre-allée s’envisage non pas comme une énième variation autour de la femme-objet, mais comme une fiction pragmatique ancrée dans la réalité sociale, économique et politique de son pays. À Strasbourg, Suzanne (Laure Calamy) vend depuis des années ses charmes. Mais les clients viennent à manquer. Une concurrence déloyale s’est installée aux portes de la ville où, à l’intérieur de fourgonnettes, des prostituées africaines offrent leur corps à prix discount. Puisque la police ne fait rien, et que, toute seule, Suzanne ne pourrait même pas pousser une 4L, elle s’adresse à des jeunes habitués du bistrot où elle boit son café tous les jours, prêts à agir gratuitement pour l’honneur de la France…

Avec ce film, Cécile Ducrocq met en scène une fable sociale. Autant dire qu’elle se livre à un exercice des plus périlleux dans un pays où “cinéma social” rime, à de très rares exceptions près, avec films démonstratifs, voire idéologiques. En quelques courts métrages (quatre en tout), le nom de Cécile Ducrocq est devenu un gage d’exigence. Avec La contre-allée présenté à la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2014, la réalisatrice déploie une fois encore son talent aiguisé de scénariste. Sans aucune concession, sans cris ni larmes, sans juger, elle saisit sur le vif une chronique de la prostitution. Ce qui n’est pas sans évoquer le cinéma de Pialat ou celui de Bresson, deux réalisateurs qui avaient pour seule exigence morale la liberté de l’homme et qui n’ont jamais eu de cesse de filmer les cadres pour en souligner l’absence. Ici, en toile de fond, se pose ad nauseam la même question : quel est le prix à payer ?

Donald James

Article paru dans Bref n°112, 2014.

César du meilleur court métrage 2016.

Réalisation et scénario : Cécile Ducrocq. Image : Martin Rit. Montage : Damien Maestraggi. Son : Francis Bernard. Décors : Jean-François Sturm. Musique : Sébastien Pouderoux. Interprétation : Laure Calamy, Bruce Chatirichvili, Kevin Kugler, Solange Pinturier, Philippe Schnee et Bruno Clairefond. Production : Année Zéro.