Cahier critique 26/06/2019

“L’antivirus” de Benoît Forgeard

Intelligence artificielle... à moustaches !

En quelques films, Benoit Forgeard s’est taillé la réputation d’un réalisateur du comique dérisoire, d’un provocateur pince-sans-rire. Dans le pays de Bigard, tant d’originalité déconcerte. Cinéaste bricoleur, touche-à-tout, Forgeard n’hésite pas à se mettre en scène. Il interprète dans ce film le réparateur d’ordinateurs incompétent, un rôle de fondu d’informatique qui lui va comme un gant. Encore une fois, avec cet Antivirus, il s’entoure de l’acteur Darius, fidèle parmi les fidèles depuis Stève André (2003), comédien atypique qui “peut dire les pires méchancetés de la manière la plus douce”. Mais ce sont trois femmes jeunes, jolies, pas connes mais légères, type teenagers d’un campus américain, qui occupent le devant de la scène d’Antivirus. Toutes sont fin prêtes à épouser une carrière dans la gestion et les financements de projets culturels... En attendant, pour se faire de l’argent de poche, elles participent au grand projet du doyen de l’université (Darius) et numérisent des livres avant de les jeter au pilon. C’est alors que l’une d’entre elles, Alex (incarnée par la bimbo Alka Balbir) voit son ordinateur tomber en panne et du même coup disparaître son mémoire sur “Baudelaire et la photographie”.

Depuis ses premiers films (Laïka Park, Stève André), Forgeard affirme un goût immodéré pour les décors de studio et les incrustations sur fond bleu. Formé à l’art vidéo à l’École des beaux-arts de Rouen puis au Fresnoy, il écrit ses scénarios en composant en même temps sur ordinateur ses story-boards. Cette prédilection pour l’informatique n’aurait que très peu d’intérêt (pour nous ici) si elle ne contaminait l’ensemble de son cinéma.

Car tout en croisant des thèmes hypercontemporains (travail, crise, présence de l’informatique, gloire et volupté), Forgeard dessine une modernité brouillée, insaisissable. Rien n’est définitivement bon ou mauvais, bien ou mal. Bien souvent, un renversement s’opère. Le fond bleu anonyme devient un décor universel individuel (chez vous, chez moi), les politiques en prennent pour leur grade, le virtuel devient réel et vire au cauchemar lorsque les anciens amis débarquent ou au conte de fées lorsque la jeune fille s’éprend du “vieux” garçon.

L’antivirus s’incruste tandis que les virus se propagent. Notre existence est envahie de variables numériques. L’informatique compose la pensée universelle. La planète du réel s’éloigne. Allô, la Terre ? Plus aucun corps ne se touche. Tu me sens contre toi ?

Donald James

Article paru dans Bref n°93, 2010.

Réalisation : Benoît Forgeard. Scénario : Emmanuel Lautréamont. Image : Yannig Willmann. Son : Julien Brossier, Manuel Maury, Xavier Thibault et Laure Arto. Musique originale : Bettina Kee, Emiliano Turi et Jean-John Léonard. Interprétation : Alka Balbir, Tina Beker, Darius et Nora Hamzawi. Production : Ecce Films.