Cahier critique 27/04/2018

“Kacey Mottet Klein, naissance d’un acteur” d’Ursula Meier

Huit ans. Douze ans. Quinze ans. Un corps qui grandit devant la caméra, s’imprègne de sensations, d’émotions, se confronte à ses limites. Un corps qui au fil des années s’abandonne aux personnages, transformant ce qui pouvait paraître un simple jeu (d’enfant) en un véritable travail d’acteur.

Dans La direction d’acteur par Jean Renoir (1968), Gisèle Braunberger, ancienne comédienne, s’offrait comme cobaye au grand maître pour un exercice de jeu. À la table, tous deux se livrent “pour de faux” à une répétition qui a pour seul objet le film en train de se faire. L’unique vérité de la situation est celle en train de se jouer entre le réalisateur et son actrice – qui sont en fait la réalisatrice et son acteur. À travers ce pur exercice de style se dévoile la méthode du grand maître pour aller du texte vers son incarnation : “Ce qu’il faut que nous trouvions, c’est le mystérieux mariage entre vous, Gisèle, et l’Émilie qui est dans les lignes de la scène”. C’est aussi à l’exploration de ce “mystérieux mariage” qu’est la fusion du corps de l’acteur et du rôle de papier qu’il incarne que se consacre Ursula Meier dans Kacey Mottet Klein, naissance d’un acteur. Premier film d’une collection initiée par l’association suisse d’éducation à l’image La Lanterne magique, cette “petite leçon de cinéma” s’attache à faire ressentir au jeune spectateur – mais pas uniquement – un aspect de la mise en scène de cinéma.

Découvert à huit ans pour son premier rôle dans Home (2008), Kacey Mottet Klein a éclos comme acteur et comme jeune homme devant la caméra d’Ursula Meier, qu’il a retrouvée quatre ans plus tard pour L’enfant d’en haut, aux côtés de Léa Seydoux. En trois étapes entremêlées (huit, douze et quinze ans), la cinéaste retrace la déjà longue carrière de l’acteur en devenir. Elle monte en vis-à-vis des répétitions, des scènes extraites de leurs deux films en commun avec des plans de lui à quinze ans, face à la caméra. Émancipé de son “pygmalion”, le jeune homme est déjà un acteur confirmé qui s’est illustré depuis dans un premier rôle émouvant (Keeper de Guillaume Senez, en 2016) et face à de grands cinéastes (André Téchiné pour Quand on a 17 ans, également en 2016). Son monologue dit, en offsur ce montage souvenir de ses débuts, comment il intellectualise aujourd’hui ce qui est devenu un métier, son rapport la caméra, au personnage, à ses partenaires. Comme dans le film de Gisèle Braunberger, l’acteur semble en apparence prendre le pouvoir sur le film.

En apparence seulement, car ce qui fascine, c’est bien moins ce discours sur les intentions de jeu que l’énergie dégagée par l’enfant sur les images du passé. On pense à la grâce du jeune Jean-Pierre Léaud qui transperce les mythiques essais pour les Quatre cents coups. Ursula Meier semble fidèle à l’héritage du cinéaste qui préférait que ses jeunes acteurs soient absorbés par des situations de jeu, plutôt que de les faire singer des émotions factices. Devant la caméra, le petit Kacey cabriole, se rue dans la neige, grimace, crie, court. Ce que capte Ursula Meier par la dissynchroniede son dispositif, c’est combien le jeu d’acteur tient de la magie quand il atteint le sérieux d’un jeu d’enfant. Apparaît alors ce mariage mystérieux dont parlait Jean Renoir entre un corps et des actions qu’on lui commande ; entre un corps animé par la grâce du mouvement  et un œil qui comprend comment le regarder.

Raphaëlle Pireyre

Réalisation et scénario: Ursula Meier. Image: Agnès Godard, Ursula Meier et Jeanne Rektorik. Son: Dimitri Haulet, Ursula Meier et Franco Piscopo. Montage: Julie Brenta. Musique : John Parish et Catherine Graindorge. Production: Milos Films et RTS (Suisse).

Lire aussi la critique de Tous à table, l'un des premiers courts métrages d'Ursula Meier.