Cahier critique 12/06/2019

“Je sors acheter des cigarettes” d’Osman Cerfon

Papa, où t’es ? Osman Cerfon signe son film le plus personnel...

Le titre renvoie, à la fois pour un imaginaire collectif et dans le folklore du drame sentimental, au moment précis où un homme quitte – lâchement – le domicile conjugal, abandonnant femme et enfants sans la moindre intention de revenir. Jonathan, le héros pré-ado de ce film en animation 2D primé au Festival de Locarno et récompensé du Prix Émile-Reynaud en 2018, répète d’ailleurs cette phrase en se marrant devant un film diffusé sur l’écran du salon. Un film très spécial, puisque c’est sa famille et lui-même qui y apparaissent… Il faut dire qu’on a deviné qu’un tel basculement a fait exploser son foyer, revenant en motif omniprésent dans ce premier récit directement biographique d’Osman Cerfon, après ses hilarantes et surréalistes Chroniques de la poisse (deux épisodes en 2010 et 2013).
Son univers n’a rien perdu de sa drôlerie et d’une posture assumée de sale gosse, qui place plus que jamais son inspiration dans une lignée caustique, sinon nihiliste, venue de South Park ou de Beavis & Butthead. En tout cas, des territoires assez peu fréquentés par l’animation française, rots et crottes de nez y compris. Ce qui ne perturbe jamais l’ample crescendo de Je sors acheter des cigarettes, sans doute impulsé par cette faculté à donner une apparence de lyrisme grandiose – voir le recours à des envolées musicales signées Prokofiev ou Pergolesi – à une configuration banale et partagée. Celle d’une famille décomposée, vivant en HLM, avec une mère esseulée se tuant au travail et ne trouvant jamais le moindre message sur son répondeur en rentrant le soir, et une soeur aînée acariâtre et obsédée par ses embrouilles de mecs. Et un manque. Immense. Non forcément exprimé, mais permanent et symbolisé par un monomaniaque « Jeu des 7 familles ». Le manque du père envolé qui se traduit concrètement par une présence incongrue, dans un placard, dans le tambour de la machine à laver ou dans le congélo, sinon en projection de clones débarquant pour faire le ménage quand un état de demi-sommeil maintient en léthargie.
Tout se mélange dans l’esprit perturbé de Jo, entre une clé à trouver, au sens large, et un tiroir à ouvrir, où des photos tronquées ressuscitent un passé meurtri, à reconstituer, à soigner. Le noeud du sac-poubelle pourra être alors resserré à fond. Et un souffle de brise s’immiscer, enfin…

Christophe Chauville

Réalisation : Osman Cerfon. Animation : Rémi Schaepman, Capucine Latrasse, Valentin Stoll et Quentin Marcault. Montage : Albane du Plessix et Catherine Aladenise. Interprétation : Manon Bresch, Delphine Rollin, Valentin Gevraise et Théo Van de Voorde. Production : Miyu Productions.