Cahier critique 25/05/2018

“Jacques a soif” de Jérémie Laurent

Un André Wilms bouleversant dans le rôle d’un habitué de bar PMU.

Titre clair et net. En osmose avec l’obsession maladive de son personnage central, qui motive son quotidien et toutes ses actions. Jacques a soif. Jacques boit. Jacques est alcoolique. Rien n’y change. Même son absence de fric. Jérémie Laurent poursuit une ligne droite, qui fait corps avec son héros cabossé. Vingt minutes de course lente après la carotte espérée. La gorgée. Le verre. La bouteille. Le vin, la bière, tout est bon pour s'étancher le gosier. N’importe où. Dans la voiture, au PMU du village, aux fenêtres des voisins, dans la rue. Sauf que le bistrotier l’interdit de bar. Que les copains ne veulent plus le dépanner. Alors Jacques ruse, traficote, chipe, agresse, se noie dans son besoin égotique.

Avec finesse, le jeune cinéaste raconte un monde fragile. Celui des êtres sans importance sociale, sans esbroufe, sans clinquant. Pris entre modernité et ruralité. Celui des retraités fauchés. Celui des Jacquot, des Dédé, des Titi. La caméra capte en gros plan du format Scope les visages fatigués, les rides, les poches, les bleus, les cicatrices, les corps qui flanchent. Entre le bitume et les champs. Belle idée de commencer par la comédie, avec la mélodie rétro au piano signée Benjamin Laurent, et l’échange sœur-frère “T’es vraiment comme Papa, le même” / “Ta gueule”, pendant la recherche du téléphone de Jacques, égaré en pleine nature. Puis la mélancolie gagne du terrain. C’est dans ce glissement que l’aventure fait mouche, jusqu’au bouleversement de la séparation d’avec le compagnon équidé. Tout ça pour éponger l’ardoise et pouvoir boire. Encore.

Le jeu subtil et puissant d’André Wilms transcende le protagoniste et le regard du réalisateur sur le décalage humain. Ses tremblements corporels et vocaux racontent la dignité bafouée et réduite à l’attente de la pension. C’est dans l’anti-performance et dans l’anti-spectaculaire que réside le nerf de ce récit. Jérémie Laurent a compris comment installer une tension dans la douceur, et de l’émotion grâce à un montage à la fois sec et fluide. Le réalisme est total. Le naturalisme est là. La poésie aussi, simple et touchante. Quand le générique de fin arrive, Jacques a eu ce qu’il voulait, son ballon au comptoir. Mais à quel prix. Le plan se termine sur un cut imparable, qui laisse l’anti-héros à son sort, suspend le temps et remue le spectateur.

Olivier Pélisson

Réalisation et scénario : Jérémie Laurent. Image : Noé Bach. Montage : Marylou Vergez. Musique : Benjamin Laurent.
Son : Fabien Dao, Clément Badin et Clément Laforce. Interprétation : André Wilms, Catherine Salviat, Alain Naron et Vincent Grass. Production : Caïmans Productions.