Cahier critique 02/10/2019

“Garden Party” de T. Dufresne, F. Babikian, G. Grapperon, L. Navarro, V. Bayoux et V. Caire

Quand six étudiants d’Arles vont jusqu’à Hollywood !

Le jour se lève sur un plan d’eau saumâtre, parsemé de feuilles mortes. Le cadre est serré et, bientôt, quelques grenouilles et crapauds y entrent et s’y ébattent. Oiseaux et cigales chantent l’aube naissante, tandis que le cadre s’élargit peu à peu et lève lentement le voile sur le mystère qui imprègne les lieux.

Fruit d’un travail collectif d’étudiants du MoPA, Garden Party est un concentré d’humour noir, de cinéphilie et de maîtrise technique et narrative. Plastiquement, l’animation du film emprunte à l’univers ultra-réaliste de Minuscule et le procédé entretient le spectateur dans le doute, accentuant les effets burlesques savamment disséminés au cours du récit. Grâce à un montage parallèle, celui-ci se décline en trois péripéties distinctes, unies par un même espace de temps et de lieu : les aventures gastronomiques d’un crapaud gourmand (et gourmet !), la chasse au papillon d’une reinette verte et maladroite ou les jeux amoureux de deux batraciens pudiques.

Ces saynètes sont reliées par un fil rouge narratif, une succession de plans qui révèlent le théâtre – une villa pompeuse, ses jardins et sa piscine – d’un drame joué ici quelque temps plus tôt, où la mort rôde malgré la vie animale trépidante. Porte fracturée, impacts de balles, mobilier et nourriture renversés, caméras de surveillance neutralisées, pistolet et munitions abandonnés : les indices du crime sont de plus en plus précis et entretiennent le suspense.

Au jeu des références, il semblerait que les réalisateurs aient voulu réunir l’ambiance moite et mafieuse du Parrain et le génie burlesque de The Party, le tout agrémenté d’un humour macabre très “tarantinesque”. L’opulence du lieu, l’arrogance et la bêtise humaine sont tournées en dérision lorsque le crapaud gourmand est pris sur le fait, la bouche pleine et les quatre pattes dans une boîte de caviar, ou qu’une version batracienne de Peter Sellers pianote maladroitement une console de contrôle et déclenche l’allumage de jets d’eau, éclairages multiples, nettoyage de la piscine et musique jazzy tonitruante. Cette frénésie musicale soudaine déconcerte et met en valeur l’habillage sonore, discret, sans musique et tout en nuances, de la première partie du film. Preuve qu’une épure à ce niveau ne dessert pas des effets comiques ou dramatiques lorsqu’écriture et mise en scène sont particulièrement soignées et réussies.

Garden Party use intelligemment de son image rétro jusqu’à sa chute : le cadavre – puisqu’il y en toujours au moins un dans les polars – est révélé lors du bouquet final de ces feux d’artifice improvisés, qui éclaboussent la folie des hommes.

Le comité de sélection des Oscar aurait décelé les traces d’un certain discours politique dans ce récit en forme de fable de La Fontaine – la décadence et mort d’un président “bling bling” mal aimé par le monde artistique, par exemple –, ce qui donc valu à Garden Party, et ses six froggies de réalisateurs d’être nommés aux Academy Awards 2018. Au-delà de cette interprétation amusante, mais non vérifiée, ce film de fin d’études est avant tout un magnifique coup d’essai, maîtrisé à tous ses niveaux de création.

Fabrice Marquat

Réalisation, scénario et animation : Théophile Dufresne, Florian Babikian, Gabriel Grapperon, Lucas Navarro, Vincent Bayoux et Victor Caire. Son : Victor Caire. Musique originale : Romain Montiel. Production : MoPA.

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