Cahier critique 10/07/2017

“Fais de beaux rêves” de Marilyne Canto

Un film sur le deuil couronné, entre autres, par le César du meilleur court métrage 2007.

Du jour au lendemain, Élise perd son compagnon. Elle reste seule avec avec son enfant et le sentiment d’une existence déréalisée. Elle parle parce qu’on parle, accomplit les gestes du quotidien. C’est une femme qui dort. Elle ne fait plus face qu’à une disparition, envahie par le vide et le souvenir d’une dernière embrassade absolue, dans la mesure où l’on ne peut décider s’il s’agit de celle d’un ami qui la réconforte ou de l'amant disparu.

Fais de beaux rêves est tourné dans un noir et blanc qui est une couleur d’âme, à la manière de celui qu’on trouve chez Philippe Garrel, pas un noir et blanc chic, mais celui lumineux d’un sentiment de vivre décalé par rapport au monde. Sa lumière douce et tranchante contient la douleur en même temps qu’il retient son débordement. Le film reste à la lisière de ce qu’on ne peut toucher. À travers les yeux de Marilyne Canto, il interroge sans expliquer. Il songe, et la vapeur dépressive (au sens propre de cet adjectif) qui le nimbe est comme une chambre d'écho assourdie. Fais de beaux rêves est une expression banale où le verbe se dilue, ne s’active pas. Elle s’applique ici aux morts plus qu’aux vivants. À celle qui reste échoit la tâche d’inventer de nouveaux trajets ou de réinvestir les anciens. “J'ai tellement envie que tu sois forte” martèle le père à sa fille endeuillée. Souhait terrible, impossible mais où le sujet peut malgré tout se frayer un chemin de vie.

Le film se bâtit sur ce mode subjectif avec la volonté d’atteindre une autre rive. C’est sans doute la nécessité de la séquence où Élise court dans les rues de Paris avec son fils qu’elle emmène à l’école. Il s’agit d'ailleurs d’un moment où l’on a le sentiment que la musique en fait trop pour dire l’élan hors du marasme. En général, la course musicalisée ne mène pas au-delà de ce qu’elle montre, elle saisit plus un état d’âme au présent qu’une destinée – ici, elle n’est pas synchrone, elle court devant l’image qui ne peut la rattraper.

Mais la qualité majeure de Fais de beaux rêves reste de s’agréger, à travers l’omniprésence de sa réalisatrice, des moments de rencontre véritable. Ils constituent peu à peu les étapes qui permettront, sinon d’apprivoiser la douleur, du moins de s’en éloigner.

François Bonenfant

Réalisation et scénario : Marilyne Canto. Image : Laurent Brunet. Montage : Thomas Marchand. Son : Gérard Rousseau et Olivier Péria. Décors : Yann Dury. Interprétation : Marilyne Canto, François Caron, Antoine Chappey, Louis Chappey, Dinara Drukarova et Olivier Perrier. Production : Les Films de la Croisade.