Cahier critique 30/05/2018

“Du soleil en hiver" de Samuel Collardey

Après la sortie en salles d’"Une année polaire", découvrez le film de fin d’études de Samuel Collardey, multiprimé en son temps.

Ça pourrait être la Lune, pour qui n'a jamais fait le voyage… Sur le plateau du Haut-Doubs couvert de neige et planté de sapins, le quotidien hivernal de Michel, colosse magnifique à la douceur de Pierrot, coule entre les bêtes à soigner et les tâches ralenties de la ferme. Il n'y aurait à entendre que le bruit des fourchettes au repas du soir et le silence, si ne débarquait Francis, jeune apprenti de l'agriculteur, charriant avec lui une grande dose de lumière.

Lui-même enfant de la famille, Samuel Collardey retourne ici filmer ceux qu'il connaît, croquant une chronique rurale dont l'aridité, présente en filigrane, et le soin extrême accordé à la photographie, ne sont pas sans rappeler les Profils paysans de Raymond Depardon. La comparaison s'arrête là. Opérateur de son film, le jeune réalisateur alterne les plans au plus près du corps de Michel, dont le plus remarquable le donne à voir en mouvement parmi son troupeau, et les séquences de vadrouille de ses deux personnages.

Cet irrésistible duo de cinéma, que la fiction, semble-t-il, n'aurait pas su si bien écrire, oriente le film vers le plaisir et la joie. Certes, un plan bleuté montrant Michel au petit matin face à une vitre esquisse sa solitude, de même la scène où il parle de Francis à voix haute à l'oreille d'un cheval dévoile son attachement silencieux à l'adolescent. Mais l'on ne sait bientôt plus différencier le maître de l'élève, la spontanéité du cabotinage. L'apprentissage dont il est question ici est celui qui se tisse entre les hommes, non celui qui s'écrit dans les manuels d'enseignement. Il passe par des parties de cartes arrosées, des séances de rodéo en voiture sur la neige gelée, des jurons lancés au vent et des discussions rigolardes aux culs des vaches.

Piétinant allègrement dans le champ libre que Samuel Collardey, tout en maîtrise cependant, laisse à Michel et Francis, le spectateur remise dans son placard ses grandes idées sur la vie à la ferme et se contente de savourer le quotidien offert. Dans sa manière décomplexée et vive de transformer un petit bout de monde en planète, Du soleil en hiver réchauffe à bien des niveaux, indéniablement.

Amélie Galli

Article paru dans Bref n° 73 (2006). 

Réalisation et image : Samuel Collardey. Scénario : Catherine Paillé et Samuel Collardey. Montage : Julien Lacheray. Son : Vincent Verdoux et Julien Roig. Interprétation : Francis Pagnot et Michel Collardey. Production : La Fémis.

Après avoir réalisé Du soleil en hiver, Samuel Collardey a approfondi son dispositif dans son premier long métrage, L'apprenti (2008). Il en parle ici.
Pour en savoir plus sur les films de Samuel Collardey, lire Bref n° 118.