Cahier critique 28/08/2019

“Dramonasc” de Céline Gailleurd et Olivier Bohler

Mais le vert paradis des amours juvéniles...

Je voudrais que tu m’emmènes loin d’ici” dit Lise. “Ici”, c’est Kevin, son copain qui veut se marier avec elle depuis la maternelle, son père qu’elle ne supporte pas, ses amis qu’elle ne comprend plus, tous ces ancêtres qui ont vécu au même endroit, qui ont vécu avant elle.

Lise habite dans un village aux pieds de grandes montagnes. L’été arrive et, avec lui, Simon, le demi-frère de Lise. Il revient de Marseille avec sa mère pour emménager sur les lieux de sa naissance, lieux où il ne semble pas à sa place. Les retrouvailles au soleil sont immédiatement entachées de la neige contenue dans cette petite boule que Simon offre à sa sœur. Kevin arrive et s’étonne de ce cadeau, feignant une jalousie finalement bien réelle. Et l’objet, anodin, concentre en un instant toute la tension et la violence qui existe entre les trois protagonistes.

La tension, née de passions et de haine confusément liées, est soutenue par des silences interminables. Avant que Simon ne saute d’un pont dans la rivière, les adolescents se taisent, leur admiration mêlée de crainte. La nature omniprésente, entre ciel et montagne, ne fait pas un bruit. Les nuages passent doucement, baignant de clair-obscur le paysage, symbole du rapport de force que sous-tend le film, entre ombre et lumière, bonheur et danger, plaisir et culpabilité. Tout est calme, trop calme dans ce village, jusqu’à l’orage qui éclate. Comme une annonce, le ciel obscurci et les briques d’un tunnel laissent la pénombre envahir l’espace. Les grondements du tonnerre répondent au fusil de Lise, aux bouteilles brisées, à la mort d’un lapin ou encore aux basses sourdes et rapides de la musique originale, pour devenir un signe de la violence qui s’immisce dans l’été.

Mais l’été, Lise et Simon aimeraient le préserver. Il est leur liberté, la chaleur entre leur corps. Il est leur péché. Pour rester dans leur bulle, ils trouvent des moyens de s’échapper. Dans une ferme abandonnée ou en taguant les murs d’une villa en ruine, ils construisent un monde à eux. Simon peint l’inscription “Dramonasc” sur une planche ; Lise la pose sur un arbre. Ils s’installent. Et marquent leur territoire d’un rite au clair de lune et au rythme des tambours. Le sacrifice de l’innocence au prix d’une larme versée. Mais même dans leur univers, les nuages toujours sont un mauvais présage. Alors ils fuient. Ils se séparent de leurs amis et si ceux-ci envahissent leur château de fortune, ils s’échappent encore. Une course pour fuir la réalité moralisatrice, une tentative de tromper un destin prédit par une boule à neige.

Anne-Capucine Blot

Scénario et réalisation : Céline Gailleurd et Olivier Bohler. Image : Denis Gaubert. Son : Marie-Clotilde Chéry, Baptiste Geffroy et Jocelyn Robert. Montage : Damien Maestraggi. Musique originale : Alvise Sinivia et Jocelyn Robert. Interprétation : Emma Crozat, Théo Gaudemard, Lalou Abella Botiaux et Lucien Amiel. Production : Nocturnes Productions.

Pour en savoir plus, nous avons rencontré Céline Gailleurd et Olivier Bohler, réalisateurs ; l'interview est à lire ici.

Avec le soutien de la