Cahier critique 23/01/2019

“Double mixte” de Vincent Mariette

Vincent Mariette, roi du revers décroisé.

Au tennis, le double mixte est une épreuve particulière, peu médiatisée et constituant pourtant un cas rarissime de compétition sportive mêlant hommes et femmes sur le même terrain. Le titre de ce court métrage de Vincent Mariette récompensé du Prix de la jeunesse au Festival de Clermont-Ferrand en 2012 fait référence à l’importance de cette discipline dans la vie passée de l’un de ses deux personnages principaux. Celui-ci, jadis surnommé “le Noah blanc”, est aujourd'hui garde du corps, volontiers parano alors qu'il est censé veiller sur un trader ayant révélé un scandale financier et s’apprêtant à témoigner devant un tribunal. La fin des années 2000 avait vu se dérouler l’affaire Kerviel et ses multiples rebondissements, tandis que le terme de lanceur d’alertes nous devenait familier, ce qui a sans doute inspiré Mariette dans l’écriture de cette comédie où son humour décalé fait merveille. Le numéro de duettistes dans lequel Gilles Cohen, déjà dirigé par l’ancien pensionnaire de la Fémis dans Cavalier seul, et Alexandre Steiger, alors encore ni réalisateur ni “chien de Navarre”, dérive vers un motif de trio lorsqu’il est décidé de trouver refuge, en rase campagne, dans la maison d’enfance du bodyguard.

Là vit en effet encore sa sœur, vieille fille immédiatement intriguée par l’inconnu et qui apparaît vite imprévisible, tirant des marcassins au fusil à l’heure du petit-déjeuner… Cette bourgeoise frappadingue à la féminité trop bridée, incarnée avec évanescence et drôlerie par Claude Perron, change la donne de ce qui était jusqu’alors une histoire d’hommes, avec la naissance progressive, dans l’adversité, d’une complicité. Jean, le témoin à protéger, découvre ainsi les secrets de jeunesse d’Arthur, son ange gardien demeuré, en un sens, ce jeune garçon velléitaire fantasmant sur la joueuse argentine Gabriela Sabatini, dont il enregistrait sur une VHS désormais antique les halètements, sinon les grognements, en un montage explicite et directement masturbatoire… Et de fait, “Gabi” demeure pour lui, trente ans après, “la plus belle femme du monde”. Cette inscription du personnage hors du temps, sensible également à travers le décor de la maison au fond des bois, tranche avec la brûlante actualité de Jean, mouillé jusqu’au cou dans cette affaire politico-financière qui cerne l’époque dans ses aspects les plus triviaux. Lui-même profite de la parenthèse atemporelle ouverte en enfilant les seuls vêtements de rechange disponibles, en sportswear taille 14 ans…

Attachants et parfois perchés, les personnages entretiennent certaines parentés avec le garde-chien du Meilleur ami de l’homme, le tandem suant au hammam des Lézards ou le trio buissonnier de Tristesse Club. Des résonances d’univers d’auteur, donc, même si Les fauves semble en 2019 initier un nouveau cycle pour le réalisateur, néanmoins toujours aussi attiré par les volutes de l’inquiétante étrangeté.

Christophe Chauville

Réalisation et scénario : Vincent Mariette. Image : Julien Poupard. Montage : Nicolas Desmaison. Son : Nicolas Wachkowski, Francis Bernard et Ivan Gariel. Musique originale : Emmanuel d’Orlando. Interprétation : Alexandre Steiger, Gilles Cohen, Claude Perron et Nicolas Maury. Production : Kazak Productions.