Cahier critique 26/05/2017

"Chienne d’histoire" de Serge Avédikian

Palme d’or au Festival de Cannes 2010

Palme d’or du court métrage, Chienne d’histoire vient clore la trilogie commencée par Serge Avédikian, en 2003, avec Ligne de vie et poursuivie, en 2005, avec Un beau matin. De la résistance de l’humain et la victoire relative de la liberté en camp de concentration dans Ligne de vie, à la victoire totale de la barbarie dans Chienne d’histoire, Un beau matin, inspiré de la nouvelle Matin brun de Franck Pavloff, fait office de trait d’union, dans lequel la tyrannie et la barbarie avançaient cachées en visant les chiens et les chats domestiques. Dans Chienne d’histoire, ce sont les chiens qui subissent totalement une humanité avide de pouvoir et d’uniformisation. Il est toujours question, dans ces trois courts métrages d’animation, d’extermination d’une catégorie de population, et par là même de destruction de la diversité, du lissage sans âme et sans couleur d’une humanité dégénérée.

Chienne d’histoire relate la déportation de 30 000 chiens des rues de Constantinople sur une île déserte en 1910 – une vingtaine d’années avant les camps de concentration décris dans Ligne de vie. Les chiens errants disparus, les Constantinopolitains pourraient alors s’inspirer de la mode occidentale et promener leur chien en laisse, comme à Berlin.

Les chiens ont remplacé les juifs de Ligne de vie, et, alors que dans le premier film un homme criait sa liberté au-delà de la barbarie et de la mort, les chiens de Chienne d’histoire ne font que se noyer en tentant de quitter l’île qui leur sert de mouroir.

Sans parole, ne serait-ce que quelques extraits de journaux, mais avec les aboiements et les plaintes des chiens que le violon de la musique de Michel Karsky vient souligner, Chienne d’histoire est servi par le graphisme de Thomas Azuelos, entre collage de photos d’époque et aquarelle sur fond blanc. Cette technique s’adapte parfaitement à ces chiens qui se diluent dans les eaux de la mer de Marmara, à cet événement qui s’est étiolé dans les mémoires, tout en rendant paradoxalement grâce à la beauté de Constantinople et à sa lumière, à la culture orientale de celle qui ne s’appelait pas encore Istanbul. Le choix de très peu animer les personnages, loin de desservir les films, ne les rend que plus forts, comme si les hommes, coincés dans leur barbarie, en étaient presque immobilisés.

Cécile Giraud

Article paru dans Bref n°93, 2010.

Réalisation : Serge Avédikian. Scénario : Serge Avédikian et Karine Mazloumian. Image : Frédéric Tribolet. Peinture : Thomas Azuelos. Animation : Jimmy Audoin. Montage : Chantal Quaglio. Son : Christophe Héral. Musique : Michel Karsky. Production : Sacrebleu Productions.