Cahier critique 15/04/2020

“Chien bleu” de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh

La terre est bleue comme une orange.

Fanny Liatard et Jérémy Trouilh écrivent et réalisent ensemble depuis 2013, proposant des courts métrages de fiction proches du documentaire, fortement influencés par une empreinte sociale rattachée à un univers urbain. En 2015, ils tournent le court métrage Gagarine, une histoire inspirée par la démolition d’une cité et de l’impact sur ses habitants ; en 2016, leur fiction La République des enchanteurs obtient le Prix Canal+ au Festival du court métrage de Clermont-Ferrand.

Direction Aubervilliers. Le duo s’accorde à filmer ce quartier populaire de la banlieue parisienne et ses habitants avec une affection profonde, saisi par une volonté d’entourer ces bâtiments avec bienveillance et non de les rejeter comme souvent. Ici, le mur, c’est la proximité avec l’autre, l’occasion de s’échapper à travers les échos des regards et des échanges. Pour refléter la beauté singulière de ce lieu, les réalisateurs ont principalement choisi ses véritables résidents. Ainsi, le pari est plus grand, plus stimulant aussi et plus juste encore.

C’est la couleur bleue, douce et captivante qui s’infiltre dans la cité pour unir tous les personnages. Pour Émile, elle protège des malheurs de dehors. Il faut garder la couleur pour soi afin de ne pas être contaminé par le monochrome du béton. Quand “Les mots bleus” de Christophe résonne dans son appartement, chaque habitant recueille en lui le rêve de ces paroles mélancoliques, de cette couleur attirante. Yoann, le fils d’Émile, refuse cet enfermement même s’il essaie de comprendre et d’accompagner la douleur de son père. Sa rencontre avec Soraya, qui porte une éclatante parure bleu vif, questionne la vision du monde qu’il avait jusqu’ici. À l’extérieur, d’autres couleurs existent elles aussi et savent se mélanger entre elles. Fanny Liatard et Jérémy Trouilh choisissent les animaux comme médium afin de porter cette idée. Progressivement, le plumage des perruches dépose ses couleurs dans les balcons du quartier. Mais c’est quand le chien d’Émile, teint en bleu, se promène que tout évolue. Il attise la curiosité, l’admiration et facilite le contact entre Yoann et Soraya, après une première rencontre manquée.

Soraya est un personnage arc-en-ciel, qui se démarque par son insouciance. La jeune femme, elle, n’est pas limitée à une seule couleur comme en témoigne ses diverses parures. Elle célèbre l’histoire et l’interprétation de tous les tons. En pliant ses affaires avec Yoann, Soraya lui offre la possibilité de s’ouvrir aux autres teintes et ne pas reproduire le schéma de son père. En mélangeant les couleurs, ils fusionnent leur vision, leur vie et leurs espoirs. 

Inspiré par cette rencontre lumineuse, Yoann recouvre Émile de sa couleur fétiche pour lui donner le courage de sortir. Avec tendresse, une danse des corps et des nuances gravite autour de lui. La couleur bleue n’est plus seule et n’a plus besoin de l’être, désormais elle fait partie d’un tout. 

Aliénor Lecomte

Réalisation et scénario : Fanny Liatard et Jérémy Trouilh. Image : Victor Seguin. Montage : Daniel Darmon. Son : Yohann Henry, Agathe Poche et Maxime Roy. Interprétation : Michel Pichon, Rod Paradot, Mariam Makalou, Ferrodja Rahmouni et Jean-Richard Joseph. Production : Frenzy Studios.

 

Entretien de Fanny Liatard et Jéremy Trouilh – Talents de la Fête du court métrage 2019