Cahier critique 08/11/2017

“Charlot émigrant” de Charlie Chaplin

Revisitons nos classiques en compagnie du célèbre vagabond au chapeau melon et à la petite moustache.

Un amour ingénu qui fleurit au cœur d’un environnement où petites actions viles et violence plus ou moins voilée prospèrent, tel est l’argument de Charlot émigrant que l’on revoit toujours avec la même émotion.

La structure est simple et efficace : deux décors principaux prennent place autour d’une ellipse centrale. Ainsi, à la traversée en bateau de Charlot, caractérisée par un tangage fort et quasi permanent initiant la plupart des gags, s’ajoute la scène du restaurant une fois celui-ci sur le sol américain. La juxtaposition de ces deux évènements, en condensant la trajectoire du personnage, met en valeur le tournant qui les distingue et les unit à la fois. En effet, l’ellipse, d’autant plus sensible que sa durée est indéfinie, accentue le sentiment de deux mouvements distincts, celui de l’aspiration à une vie meilleure puis de la désillusion devant la rudesse du quotidien, organisés autour d’une image à la symbolique forte : la statue de la Liberté.

Celle-ci, apparaissant progressivement dans le champ de la caméra suite à un raccord regard, cristallise les enjeux du film : horizon d’attente pour les personnages, la séquence est aussi fidèle au mouvement global du court métrage associant toujours un contrepoint à l’émotion dominante, alliant le rire à une tendresse émue. Ainsi, après le lyrisme du carton annonçant l’arrivée du bateau au pays de la liberté et l’apparition grandiose de la statue dans un lent travelling latéral, l’ironie cinglante de Chaplin ne tarde pas à se manifester au travers d’une corde tirée promptement pour contenir les migrants et de la petite révolte dérisoire  – mais exutoire – de Charlot.

Cependant, sous l’apparente simplicité de la structure, de minutieux jeux d’échos sont à l’œuvre : loin d’une accumulation de sketches, les situations comiques, toujours inventives, se répondent en déclinant des motifs communs. Ainsi, dès la première facétie de Charlot, l’enjeu de la nourriture est introduit et sera repris par deux fois ; de même, l’argent, les figures d’autorité, ou les rixes reviennent à plusieurs occasions, dépassant le simple comique de situation pour donner corps aux espoirs de changement déçus. En effet, au pays de la Liberté ou sur le bateau, c’est à la même violence que Charlot doit faire face : pauvreté, faim et intimidation se répètent. Et c’est finalement la générosité, dont il avait lui-même su faire preuve envers la jeune fille, qui enraye le mécanisme trop bien rôdé.

À la fin, l’amour triomphe. Et cent ans plus tard, on aimerait qu’il en soit toujours ainsi.

Claire Hamon

Réalisation : Charles Chaplin. Musique : Timothy Brock. Interprétation : Charles Chaplin, Edna Purviance et Eric Campbell. Production : Mutual (États-Unis). Collection : Lobster Films.