Cahier critique 30/08/2022

“Cadavre exquis” de Léa Mysius

Maëlys, huit ans, habite dans une campagne reculée avec ses parents. Insolente et solitaire, elle passe sa vie dans les bois et les marais. Un jour, elle trouve au milieu des roseaux le cadavre d’une jeune fille nue. Fascinée par sa beauté et sa texture, elle décide de l’emmener dans sa cabane...

Maëlys a huit ans. Elle habite seule avec ses parents, une ferme isolée au milieu des bois. D'apparence angélique, elle est constitutivement indocile, en résistance permanente contre son père, sa mère, qu'ils soient autoritaires ou tendres. Elle leur parle durement, les contrarie, refuse (de les regarder, de venir, de manger, de rester près d'eux) et ne tient pas en place. De l'aube au crépuscule, sans rien dire ou trouvant n'importe quel prétexte, elle fuit la maison familiale et elle explore, toute seule, à pied ou à cheval, la campagne verdoyante traversée par la lumière du soleil et bercée par le chant des oiseaux.

La relation entre l'enfant et ses parents est atypique et intrigante. Nous les sentons exaspérés mais résignés. Ils luttent à peine, désemparés, ils constatent son attitude rebelle et semblent presque l'accepter. La tension cohabite avec une sorte de comique, d'absurdité, créant une étrange impression. “Qu'est-ce qu'on va faire de cette gosse ?” se demande la mère, mi-affligée mi-souriante. De cette dernière, et de son père, Maëlys n'en a cure. Seules comptent pour elle ses escapades solitaires et sa liberté.

Sa liberté, et ses expériences ; Maëlys découvre une jeune femme noyée dans un étang. Voilà une compagnie, une présence étrange à explorer. Laborieusement, elle traîne le cadavre jusqu'à sa cabane. Ce corps disponible devient le centre de ses préoccupations. Dès qu'elle le peut, elle le rejoint. Elle lui parle, le lave de la boue qui le recouvre, s'apprête à le découper alors qu'il devient bleu et que les mouches tournent autour de lui ; elle peine pour le cacher à l'approche des parents, parce qu'il est lourd et encombrant. A-t-elle conscience de la mort ? Sans doute, mais son approche n'est pas morbide. C'est passionnant, un corps. Et c'est passionnant, une fillette qui joue avec. Léa Mysius reste focalisée sur cette dernière. Qu'elle filme de loin son inscription dans la nature, qu'elle l'observe patiemment en gros plan, que la caméra, mobile, en fasse le tour, s'approche de son visage, suive ses déplacements, la cinéaste semble aussi captivée par son personnage que cette dernière par le cadavre. Et la réalisatrice fait preuve d'habileté pour nous surprendre – ainsi, par exemple, lors d'une violente blessure infligée à la mère, comme gratuitement. Tendre, cocasse, glauque et cruel, Cadavre exquis est un drôle de film, qui sait être dérangeant.

Marion Pasquier

Article paru dans Bref n°107, 2013.

France, 2012, 25 minutes.
Réalisation et scénario : Léa Mysius. Image : Augustin Barbaroux. Montage : Pierre Deschamps. Son : Victor Praud, Benjamin Falsimagne et Léo Lepage. Décors : Margaux Remaury et Esther Mysius. Musique : Carlos Marks. Interprétation : Ena Letourneux, Jean-Claude Tisserand, Brune Renault et Alexandra Hökenschnieder. Production : G.R.E.C.