Cahier critique 01/09/2018

“C’est gratuit pour les filles” de Claire Burger et Marie Amachoukeli

La 43e cérémonie des César nous donne l’occasion de revenir sur ce court métrage récompensé en 2010.

Forbach. Quatrième ville de Moselle. Comme ailleurs, le travail s’y fait rare, on s’arrange pour que le samedi soir n’y ait pas un goût d’ordinaire ; l’Allemagne est à l’horizon, Paris semble à des kilomètres. Si Claire Burger et Marie Amachoukeli ont choisi de planter leur caméra dans ce bout de Lorraine, ce n’est ni pour la balade, ni pour le pathos supposément imprégné dans les murs des maisons de cette ancienne région minière. Mais bien plus sûrement parce que l’une y a grandi et, avec elle, nombre des personnages qu’elle filme aujourd’hui avec l’autre. Choisissant de s’entourer systématiquement de comédiens non professionnels, un proche autant qu’un parent ou une inconnue découverte sur casting, les deux jeunes réalisatrices semblent ainsi s’employer à façonner tout lieu en décors, appréhender chaque rencontre en personnage. Et pourvu qu’on allume un peu la mèche, le quotidien vaut toujours de rentrer dans le cadre. Un postulat de départ pour le moins intéressant, qui rend le travail d’Amachoukeli et Burger aussi singulier que passionnant.

C’est donc à Forbach que Laetitia et Yeliz, deux pépettes lookées comme des perles, rêvent au salon de coiffure qu’elles ouvriront un jour. L’une passe son brevet professionnel, l’autre s’escrime dans le graillon d’un snack. Elles filent en scooter, parlent fort, font les belles devant des garçons qui veulent se croire plus malins qu’elles. Abreuvée de séquences du Net et de télé-réalité, rompue à la mise en scène de soi par l’image, cette tribu adolescente s’en donne à cœur joie devant la caméra, notamment dans une scène de fête hallucinante qu’on voit rarement filmée de manière aussi incandescente. Yeliz et Laetitia, mini-femmes aux allures de pasionarias, n’ont pourtant pas le droit à l’innocence. Car tout se paie et parfois plus chèrement que ce que l’on peut donner. Un travail, une histoire d’amour, la dignité. 

Le dispositif de tournage permet de brouiller un peu plus les pistes entre interprétation et élan de soi, vraie complicité et fausse embrouille, et c’est tant mieux. Mais Marie Amachoukeli et Claire Burger excellent surtout dans les scènes de confrontation, trouvant sans cesse la justesse et la tension nécessaire à l’éclosion de duos de cinéma qui laissent des traces. On pense à la fureur de Laetitia, aux larmes amères de Yeliz. Une façon fort maîtrisée de se confronter à la dualité.

Amélie Galli

Article paru dans Bref n°88 (2009).

Réalisation et scénario : Marie Amachoukeli et Claire Burger. Image : Julien Poupard. Son: Mathieu Villien et Pierre Bariaud. Montage : Frédéric Baillehaiche. Musique : Michael Angelus feat. Don Vilo & Koil & Tarell. Interprétation : Laetitia Hadri, Yeliz Alniak, Vicente Lopez Lama, Michael Ehlen et Aurore Dos Santos. Production : Dharamsala.