Cahier critique 30/07/2018

"Blind Sex" de Sarah Santamaria-Mertens

L’été, saison propice à l’éveil des sens…

C’est la fin de l’été. Louise, vingt ans, étouffe dans cette maison de vacances, coincée entre une mère protectrice et une jeune sœur dévergondée. Louise surmonte son handicap tant bien que mal, mais refuse tout misérabilisme : “Je suis aveugle, pas femme tronc ! 

Blind Sex est la chronique de son émancipation familiale, sociale et sexuelle. En forme de douce révolte. Son entourage, sans le savoir, l’aide à sortir de son enfermement dans le handicap : les parties de jambes en l’air de sa sœur dans les hauteurs de leurs lits superposés, la maternité insistante de la mère, jusqu’à l’esprit frondeur et joueur de son chien qui la jette dans les bras de joyeux naturistes.

Sarah Santamaria-Mertens évite bien des pièges et gagne sur tous les plans. Dans le choix de ses comédiens pour commencer : devenue trop rare, Lucia Sanchez, dans ses pourtant brèves apparitions, est juste et touchante. L’osmose qui règne dans la bande du camping laisserait à penser que ces quatre-là sont de vrais amis d’enfance et qu’ils ont passés tous leurs étés au bord de cette rivière. Leur justesse de jeu et leur bienveillance à l’égard de Louise créent une harmonie de groupe qui crédibilise son personnage et le met en valeur. Camille Goudeau a reçu le Prix d’interprétation au dernier festival Premiers Plans d’Angers pour le rôle de Louise. Une révélation bienvenue pour le cinéma et le public, car cette jeune femme malvoyante, non-comédienne professionnelle et amie de la réalisatrice, était au départ consultante pour le casting. Au final, après un test, elle obtient le rôle. Sa performance trouve un juste équilibre entre la naïveté et le caractère trempé de son personnage. Son sourire franc et désarmant, la douceur de ses gestes, suffisent à rendre une séquence d’épilation pubienne – a priori voyeuriste – en moment tendre et complice.

Si le cinéma s’empare peu du sujet de la cécité, et encore moins en l’incarnant par un acteur ou une actrice malvoyante, Sarah Santamaria-Mertens parvient assez simplement à mettre le spectateur en situation subjective. Disséminés dans le montage avec parcimonie, quelques plans noirs – qui surviennent dans la continuité d’un plan image – nous invitent dans la peau de Louise durant quelques secondes. Le travail du son permet de lier ces séquences, subjectives ou non, et de créer une alternance de “regards” sur une même situation. Alors que Louise découvre son corps, ses sens et son caractère profond, le spectateur l’accompagne dans sa mue ; il est à ses côtés, une main sur l’épaule pour la guider. L’écueil de la moquerie étant surmonté, il peut profiter de l’humour distillé par le film et ses comédiens. Et enfin, voir Louise se jeter à l’eau – au propre comme au figuré – et replier sa canne au moment de retourner vers les siens, nue.

Fabrice Marquat

Réalisation et scénario: Sarah Santamaria-Mertens. Image: Marine Atlan. Montage: Lucie Brux. Son: Jeanne Delplancq, Anne Dupouy et Philippe Grivel. Décors: Victor Melchy. Interprétation: Camille Goudeau, Romain Torres, Julie Sokolowski, Louison Dequesnes, Lucia Sanchez, Lola Roskis-Gingembre, Jean-Baptiste Le Vaillant et Mathilde La Musse. Production: La Mer à Boire Productions.