Cahier critique 29/06/2018

"Belle gueule" d’Emma Benestan

“Chouchous, beignets, chocolats glacés” : un avant-goût des vacances ! Bonus : entretien avec Julie Roué, compositrice de musique de films, notamment de "Belle gueule".

L’été, ce n’est pas les vacances pour tout le monde. Quand certains bronzent au soleil en dégustant le gras des beignets, d’autres suent au soleil en vendant le sucre des beignets. Baptiste bronze et Sarah sue, mais ils vont tous les deux se brûler aux amours éphémères de l’été. Seulement, Sarah n’assume pas son job d’été, elle voudrait de vraies vacances. Trouver un moment vaquant dans sa vie pour y engouffrer de la liberté. Les soirées de fêtes foraines ne suffisent plus.

Le film d’Emma Benestan traduit très bien les états d’esprit de la jeune fille. Il souligne la différence — que l’on retrouve dans son dernier court métrage Un monde sans bêtes ­— entre le calme de l’environnement et les tourments de l’adolescence. Ce contraste est accentué par la musique épurée de Julie Roué, entre douceur et tension. La caméra portée semble s’accorder aux soupirs d’Oulaya Amamra et suivre tous ses mouvements de colère. La performance de l’actrice est à la mesure de la reconnaissance qu’elle aura. Notamment dans le long métrage Divines d’Houda Benyamina, Caméra d’or au Festival de Cannes 2016.

Dans une symbiose étonnante, la caméra d’Emma Benestan saisit l’urgence et les impulsivités de Sarah qui ne réfléchit pas mais agit, vite, avant que l’on puisse deviner qui elle est. Les quatre bords du cadre l’enferment mais aussi la protègent. Elle se cantonne à une solitude qu’elle érige en fierté. Quand il ne la suit pas, le cadre la bouscule ou l’écrase par des plans en contre-plongée dont on sent qu’il faut qu’elle se libère. « Elle vend des beignets, elle regarde la mer. », dit son père. Une antithèse injuste, qui explique tout : la rancœur de ne pas pouvoir profiter de l’oisiveté, la volonté d’être autre part. Au moins être quelqu’un d’autre que la vendeuse de beignets. Elle a laissé cette fille-là avec le t-shirt rouge de Loulou Beignets. Elle préfère jouer un rôle, au milieu d’une foule dansante et fluide, au milieu de l’euphorie. Les plans tremblent moins, les deux adolescents se rejoignent dans le cadre. Sarah embrasse Baptiste et la vie normale jusqu’à ce “On s’connaît, non ?” qui fait éclater sa colère et sa vérité. Retour de la frontalité : un champ contre champ brutal exclut à nouveau la jeune fille, sur la défensive.

Mais la vie est parfois inattendue : on peut faire irruption dans sa solitude, malgré sa volonté manifeste de s’y enfermer. Baptiste prend toute la place dans l’image, recouvre Sarah et la couve du regard. C’est ce qu’il faut pour qu’elle se pose enfin un instant pour réfléchir dans un plan presque fixe. Il fallait une brusquerie au moins identique à la sienne pour la faire accepter l’affection d’un amant ou d’un père et admettre qu’elle peut être aimée pour autre chose qu’un statut ou un genre qu’elle n’a pas, être aimée pour elle-même.

Anne-Capucine Blot

Réalisation et scénario : Emma Benestan. Image : Adrien Lecouturier. Montage : Julie Borvon. Son : Marion Papinot, Regis Boussin et Paul Jousselin. Musique : Julie Roué. Décors : Benjamin Roth. Interprétation : Oulaya Amamra, Samir Guesmi, Ilian Bergala, Anas El Mokaddam, Youssef Daouadji, Abdelkrim Kaoua, Jean-Claude Huetter et Charlene Arjo. Production : 10:15 Productions / Fase Films.

Bonus : entretien avec Julie Roué, compositrice de musique de film originale, notamment Belle gueule

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