Cahier critique 03/11/2017

“Atlantic Avenue” de Laure de Clermont

Quand deux êtres que tout oppose se croisent sur l’Atlantic Avenue…

En allant filmer de l’autre côté de l’Atlantique, Laure de Clermont est parvenue à s’écarter du syndrome de la carte postale qui sévit trop souvent dans ce cas précis (même pour une cinéaste aussi estimable que Valérie Donzelli à la fin new-yorkaise de Main dans la main, par exemple, en 2012).

Dans Atlantic Avenue, tourné dans un quartier de Brooklyn, la fiction s’enracine dans une réalité absolument non touristique, offrant un regard qui n’en est que plus singulier. Un jeune prostitué y vit une solitude au quotidien, sous une rame aérienne, dans un quartier d’entrepôts et de parkings représentant assez justement l’envers du rêve américain, loin de Broadway ou de Rockfeller Center. Il fait le tapin, se les gèle (on n’est pas en Californie) et se fait tabasser par un congénère si l’idée lui vient de lui piquer un client. Ce macadam cow-boy joué par Brady Corbet (vu chez Araki ou Lars von Trier) ne “monte pas avec les filles” et pourtant, une petite blonde qu’il a secourue vient le trouver. Celle-ci, qui le branche nettement et insiste pour payer, est bloquée dans une chaise roulante, souffrant de la maladie des os de verre.

On pourrait caractériser la rencontre comme celle de deux parias, mais ce n’est pas l’essentiel : la fragilité de la jeune femme inverse le motif de la fameuse montée d’escaliers liée à l’amour tarifé. Ici, l’ascension n’est pas triviale, il la porte avec précaution contre lui, entre ses bras, et c’est beau. Une impression de douceur se dégage et le demi-sourire de la petite infirme accentue le moment de grâce. Aucun pathos, y compris dans la musique : juste la rencontre inattendue de deux êtres défavorisés, issus d’une Amérique que le cinéma hollywoodien montre trop rarement. Et c’est bien de l’amour – on ne saura pas, d’ailleurs, si des dollars ont été remis – qui est donné à cette adolescente désirant connaître sa première relation physique, un peu comme lorsque l’assistante sexuelle jouée par Helen Hunt aide le tétraplégique de The Sessions (Ben Lewin, 2012). La différence, c’est que l’identification est ici beaucoup plus “pure”, car celle qui incarne la jeune fille est elle-même atteinte d’ostéogenèse, qui a empêché ses os de se développer. Elle ne verse donc jamais dans la performance et seule sa présence compte ; son extase espérée nous émeut, simplement.

Christophe Chauville

Article paru dans Bref n°108, 2013.

Réalisation et scénario : Laure de Clermont. Image : Antoine Wagner. Montage : Géraldine Mangenot et Nicholas Biagetti. Son : Jon Bozeman et Bruno Tarrière. Musique : Daniel Bensi et Saunder Jurriaans. Interprète : Léopoldine Huyghues-Despointes et Brady Corbet. Production : Mact Productions.