Cahier critique 16/01/2019

“Alice et moi” de Micha Wald

Un classique de la comédie belge, teinté du légendaire humour juif. 

Qui ne se souvient pas des péripéties amoureuses d’Alice et Simon, de l’encombrante tante Mala et de ses deux amies, tout aussi intrusives ? Alice et moi fit le doublé au Festival de Clermont-Ferrand en 2005 : Prix du public et Prix du rire Fernand-Raynaud. Archétype de la comédie qui réconcilie spectateurs, critiques et programmateurs, le film connut une belle carrière sur tous les écrans dans la foulée de sa sélection clermontoise.

Pourtant rien de bien emballant a priori ; Simon et Alice forment un jeune couple sur le point de rompre, et leur relation ne tient plus qu’à un fil – téléphonique – qui se distend toujours un peu plus à chaque nouvel appel. Le ressort humoristique tient surtout à l’intégration de trois personnages perturbateurs dans cette situation plutôt banale : tante Mala et ses deux amies Colette et Lydia Sandrovitch, vieilles dames wallonnes juives, qui sont dans la voiture de Simon au moment des faits. Simon qui, à contre-cœur mais à court de liquidités, a accepté de les emmener sur leur lieu de vacances moyennant rétribution. Micha Wald, qui s’est fortement inspiré de son expérience personnelle pour le scénario – même s’il ne nous gratifie pas du sempiternel et souvent mal venu “basé sur des faits réels” en exergue du film, mais d’un plus savoureux “à ma grand-mère et ses amies, à cette petite conne d’Alice, tendrement” – magnifie ce road movie belge en noir et blanc, venteux et pluvieux, sans forcer le trait de la caricature. Ses dialogues, sa mise en scène, ses cadres et sa direction d’acteurs sont parfaitement maîtrisés et offrent au film cette mécanique implacable du rire, tant recherchée – et si rarement atteinte – dans le genre de la comédie.

Ici, la tendresse pour les personnages et l’autodérision prennent le pas sur la moquerie. Le conflit israélo-palestinien, source de chaos dans ce microcosme automobile, n’en est pas moins le terreau d’une (pré)chute hilarante, qui repose pourtant sur le cliché juif par excellence : l’argent. En scénariste habile, le réalisateur use de l’imagerie guerrière en gratifiant Simon d’un caractère belliqueux, instable et immature face à l’image iconique d’Alice, douce danseuse blonde… et goy. Les conflits politique et intime se juxtaposent dans leur absurdité et cela révèle, en filigrane et de manière burlesque, une proximité troublante.

Près de quinze ans après sa sortie, Alice et moi résiste admirablement à l’oxyde du temps et entre définitivement dans le cercle très fermé des comédies intemporelles, de celles que l’on peut voir et revoir sans se lasser, ni cesser de rire.

Fabrice Marquat

Réalisation et scénario : Micha Wald. Image : Jean-Paul de Zaeytijd. Montage : Susana Rossberg. Son : Olivier Hespel, Marc Bastien et Philippe Baudhuin. Musique originale : Jarby Mc Coy. Interprétation : Vincent Lécuyer, Bella Wajnberg, Gita Spiegel, Martha Mora et Sofia Achaval. Production : Versus Production.